divendres, 6 de desembre del 2019

Esoks, Esocina, Izokina, esguín, salmo, salar, du saumon et de la truite.

Je dédie cet article à Jérémie "Isokina" Loison. 

On doit à Ausone, préfet des Gaules (4ème siecle), natif de Bordeaux ou de Bazas et grand pêcheur de truites devant l'éternel, la toute première attestation écrite du mot "salar" (truite) en latin. Le Latium n'étant pas vraiment une région à truites et ce mot "salar" étant de première attestation très tardive, on se doute qu'il pourrait ne pas être latin d'origine.. On ne sait pas d'où il vient, peut-être du parler gaulois de Bordeaux.

Des linguistes celtisants comme J.-H Gray (The American Journal of Philology, Vol. 49, No. 4 (1928), pp. 343-347) soutiennent que tant "salmo" (saumon) comme "salar" sont des mots gaulois passés au latin. En langue gauloise, salmo serait un synonyme de esoks (esox), dont l'accusatif ĕsŏken a servi à la formation d'une forme feminine esokina, passée en latin et en basque, c'est du moins ce que vous pourrez lire dans tous les bons ouvrages. Toutefois les linguistes peinent à trouver au mot esoks une étymologie indoeuropéenne si bien que la provenance i.-e. de ce mot reste très douteuse. "Pas d'étymologie convaincante..." (X. Delamarre, adresse Esox du Dic. Gaul..).

Il faut alors se poser la question si le voyage esoks, esoken, izokin ne s'est pas fait, en réalité, dans l'autre sens à partir de l'aquitain (= basque antique, proto-basque). En basque, le mot izokin(a), (le) saumon, sonne comme (le) "boulanger de mer", d'un préfixe de l'euskara iz- qui signifie eau, mer, (qu'on trouve dans izotz = glace, lit. eau froide; izurde= dauphin, lit. cochon de mer) couplé à l'étimon "ok" qui évoque l'alimentation, representé en basque par le substantif "ok" =satiété, aussi par "ogi"= pain, blé, aliment et par okin= boulanger lit. celui qui fait le pain ou celui qui alimente. De ce mot "izokin" qui signifie saumon et qu'on pourrait littéralement décomposer en "eau-aliment-dans" ou "eau-aliment-fait", une manne aquatique en quelque sorte, serait issue la forme protoceltique *ĕsŏken dont la terminaison en -en, adaptée de la terminaison -in du mot aquitain, est celle d'un accusatif en celtique. Cette forme a du induire un nominatif reconstitué "esoks (esox) en gaulois et que ce dernier a passé au latin. Les Celtes des Iles Britanniques ont préféré reconstruire ou dériver une forme nominative *esākos d'allure bien plus celtique que cet étrange esoks-esoken (assimilation de la terminaison de l' accusatif en -oken, -avec l'affixe celtique très productif -ākos, accusatif -aken).

Il faut remarquer que l'étymon izokin est absent du galloroman (en gascon: saumon, comme en français) alors qu'il est présent en espagnol et en asturien: "esguín". En espagnol, le mot esguín désigne le très jeune saumon qui n'est pas encore retourné en mer. En asturien, il désigne les alevins de salmonidés (saumon, truite) et peut désigner un petit poisson de manière générique. Cette signification de jeune poisson ou petit poisson est induite par la confusion de la terminaison du mot en -in avec l'affixe diminutif homonyme (-ín) très productif en asturien. Cette localisation cantabrique du mot esguín me suggère que c'est bien le mot latin "esocina" qui dérive du mot aquitain (= basque) et non l'inverse, contrairement à ce qui nous est fréquemment affirmé par les linguistes celtisants qui veulent absolument faire dériver le mot latin du celtique, et le mot basque du celtique ou du latin (cf. Delamarre et Matasović) . Je pense que c'est plutôt l'inverse: ce serait le mot aquitain (=basque) qui pourrait être à l'origine du mot celtique et du mot latin, car le mot basque a une étymologie explicable par le basque alors que le mot celtique reste isolé dans le domaine indoeuropéen, sans étymologie ni explication. 

L'irlandais a au moins quatre mots pour dire saumon, tous d'étymons différents, dont eagh (ou eá après la réforme orthographique), qui vient de notre "esakos", mais on n'y retrouve pas de mots apparentés à "salmo" et "salar" ni en irlandais ni dans aucune autre langue néo-celtique. Ce n'est évidemment pas une preuve contre cette hypothèse d'une origine gauloise de salmo et salar. Le mot peut-être une métaphore ou construction spécifiquement gauloise faite à partir du mot qui signifie saut (er), bond(ir)= (sal-jo/e en protoceltique= saut, bond). Le mot employé par Ausone nous rappelle le nom de la place-forte des Garumni (ou "Garonnais"), peuple antique de la Haute Vallée de Garonne du temps des Romains. Leur place-forte s'appelait Salardunum, aujourd'hui Salardú (Val d'Aran). Les Irlandais avaient un Dún Salach, lit. Fort du Saule, les Garumni auraient-ils eu un Fort (Dunum) de la Truite (Salar)? Ce n'est pas à exclure, rappelons-nous l'histoire mythique du Saumon qui Savait Tout ou Saumon de la Sagesse (bradán feasa en irlandais, cf. Le Saumon de la Sagesse dans wikipedia). L'animal totémique des Garumni était peut-être la truite. Quoiqu'il en soit, force est de constater que ce mot "salar" employé par Ausone n'a pas eu beaucoup de succès en roman. Il n'était probablement pas si répandu ni si connu que ça. Ou alors son homonymie avec les membres de la famille de "sel", "saler" lui ont fait du tort. En tout cas, on lui a préféré ce mot un peu bizarre *tructa ( > fr. truite, en gascon: trueita, tròcta, tròcha, trucha, traueta). Les Roumains, eux, ont carrément emprunté leur mot au bulgare: păstrăv (truite). 

En basque, la truite n'a pas vraiment de nom très spécifique, c'est juste "hameçon-poisson", amuarrain d' "amu" (du mot latin qui signifie hameçon, gascon: am, ham, id.) combiné à arrain (poisson en basque). Pourquoi un terme si vague? Tabou? Déficience lexicale d'un peuple autrefois locuteur de parlers celtes s'étant aquitanisé (iberisé)? Ou bien les ancêtres des Basques provenaient d'une région sans truite donc leur langue n'avait pas de nom pour ce poisson? Ou un peu tout ça? Je vous laisse choisir.

dilluns, 2 de desembre del 2019

Iu, èu, òu: lac de montagne. Étymologie (en français)

Iou, èou selon Palay, en graphie alibertine, iu, èu et òu: lac de montagne. Ce mot gascon, à l'origine du toponyme oô, est bien un substantif, autrefois courant dans les parlers pyrénéens sous ces diffèrentes formes (Palay). 

Le mot aragonais "ibón" (lac de montagne) pourrait être perçu comme une forme affixée de notre mot « iu » (iu, ivón) . Ce doublon de mots romans peut faire penser à un autre doublon qu’on trouve en protoceltique : *abū-, *abona (cours d'eau), un seul mot à l'origine mais deux formes, correspondant à deux cas du même mot. Probablement à partir du cas oblique ( l'accusatif *abonen) d'un mot neutre *abūn (eaux, rivière) a été reconstruite une forme féminine *abona (Dic. Matasović). Ce mot est à l'origine de nombreux toponymes et d'hydronymes comme Avosne, Avon, Entraune en France comme en Angleterre. Du mot *abūn vient le mot du viel irlandais "aub" genitif abain; de l'autre forme abona dérivent les mots bretons aven, gall. afyn, id. etc. Le vieil irlandais présentait d’ailleurs aussi une variante « au » (rivière). Les linguistes de l'Univ. du Pays de Galles admettent dans leur lexicon protoceltique, en plus du doublon abu - abona, un "*awo" /« *awa » (rivière) qui rappelle notre mot gascon iw, èw, òw-. Tous ces mots signifient eau comme élément géographique, cours d'eau, rivière par opposition au concepte d'eau comme élement physique (qu'on boit ou pour éteindre le feu). 

On est aussi évidemment tenté, comme l'ont suggéré G. Rohlfs et d'autres, de rapprocher ces mots romans òu et ibón (lac de montagne) des mots basques ibai (fleuve), ibol (averse), ibi (gué), ibar (vallée) etc qui pointent tous vers une racine commune *ib. Ce "mot" aquitain *ib qui pourrait avoir signifié "eau" n'est toutefois pas lexical en basque, il a pu y être remplacé par ur(a), ce dernier mot pouvant être un emprunt à une langue indo-européenne, celtique ou préceltique (voir gaulois uaria, uera, d'un plus ancien ur-, cf. DicGaul. Delamarre). Il est possible que notre mot gascon iu, èu ou òu représente en fait ce mot aquitain absent du lexique basque, en admettant qu'il ait eu une forme /*iw/ passé à /*ib-/ en composition. 

En conclusion: étymon obscur, probablement pre-latin, celtique ou aquitain. Peut-être bien le proto-celtique *awo - voire abūn (eaux, rivière) (cf. lexikon de proto-celtique de l'Univ. of Wales) en lui prêtant une signification générale d'étendue d'eau et pas seulement celui de cours d'eau qu'avait le mot "au" en viel irlandais. Ou alors un très hypothétique étymon aquitain *iw, *ib- , qui signifierait eau et qur l''on retrouverait en basque et en aragonais. Ou collision des deux étymons, à l'origine de l'hésitation phonétique des formes variées du mot òu, iu, èu .