divendres, 9 de setembre del 2022

Bruyère, buisson et sorcière. De l'étymon proto-celtique *wroyko en gascon.

*Wroyko: bruyère. Gascon: bruc = bruyère; aussi, broish, broisha (buisson) et bruishòc, bruishòt, bruishon, broishon  (buisson). 

Le mot proto-celtique *wroyko a des descendants gascons en ligne directe : celtique *wroyko - (bruyère) > gasc. bròc /brɔk/, broc /bruk/,  bruc /bryk/ (d'où fem. bruga) (id.) etc. Le mot bruc /bruk/ se retrouve en catalan et en aragonais. On voit que la diphtongue a posé un problème de résolution en latin qui n'a pas une telle diphtongue en magasin, ce qui a conduit à différentes solutions phonétiques (voir à ce sujet Coromines, El parlar de la Vall d'Aran, entrée broixa).  On trouve aussi sous une forme affixée, broquèra (a.g. brouquère : amas de broussaille ou lieu de bruyères, selon les endroits <brocaria) , cognat du fr. bruyère (< brucaria).  De même l'étymon de "wroyko", et c'est là que cela devient intéressant, est sans doute le même que celui de  òc brossa (buisson, broussaille), gasc. bruishòc (broussaille, buisson), broisha (buisson), catalan bruix (buisson ), que je suppose dérivé de *wroyko via un intermédiaire affixé  *wroykya (ensemble de buissons, broussaille ?)> broicia ou bruycia-> brossa, broisha. 


Le mot béarnais bruishòc (buisson) et son doublon gascon broishòc (id.)  sont intéressants car ils présentent une "affixe" sous une forme qui n'est pas vraiment du tout usuelle en gascon, ce qui me fait soupsonner qu'elle n'est pas latine ni romane. Elle pourrait remonter au celtique, je pense à  -ākos.  Ces mots bruishòc et broishòc sont singulièrement gascons, on ne les trouve pas en occitan ni ailleurs, à ma connaissance. Elles me font remonter à une forme celtique *wroykyāko-- > *bruyciocu-, *broyciocu-- > bruishòc, broishòc. Sur la dérivation phonétique du suffixe -āko- en -òc en gascon, cf  le mot celtique kalyāko ( fr. coq) dont dérivent en ligne directe le mot gascon calhòc ( fr. coq de mer, goéland)  et ses cognats v.irlandais,  gallois et breton, respectivement cailech, ceiliog et kilhog (coq). Les deux mots wroykyāko et kalyāko ont en commun que la terminaison -āko suit un yod (-yāko), ce qui aurait pour effet de fermer le vocalisme qui suit. 


Le gascon et le catalan partagent le même mot pour dire sorcier-e, broish-a, (a.g. brouch /e) graphié  bruix-a en catalan, la prononciation restant la même. Dans les deux langues, la forme masculine du mot qui veut dire sorcier est identique à celui qui veut dire buisson. En béarnais, le mot broish (brouch) a cessé de désigner le buisson pour ne garder que celui de sorcier, si on en croit le Palay. Par contre, le mot signifie bien buisson en gascon des Landes (dic. Foix).  La signification de broussaille se retrouve toujours dans le lexique béarnais avec les dérivés affixés de broish: broishòt, broishon (fr. buisson), broishagar (brouchagà) et broishaguèr; broishaguèra (brouchaguè, -re): fourré de buissons (Palay). Les linguistes de l'I.E.C., à la suite de Coromines, suggèrent qu'il s'agirait bien d'un même et seul mot qui aurait les deux significations: buisson et sorcier, la sorcière étant appelée (en catalan) bruixa parce qu'elle fréquente  volontiers les buissons (bruixos). Néanmoins, en dehors de l'espace catalano-gascon, l'homonymie n'existe pas. En espagnol et en galaïco-portugais, sorcière se dit respectivement bruja (anciennement bruxa) et bruxa. L'aragonais connait les formes bróixa, brusa et bruja. Les dérivés de *wroyko et *wroykya" avec les sens botaniques qu'on vient de voir sont absents du lexique ibéro-roman. 


Le languedocien aquitano-pyrénéen a un cognat du mot gascon "broish-a" pour dire sorcier-ère qui est "bruèis-bruèissa", ce dernier mot étant inconnu du lexique occitan par ailleurs. "Bruèissa" n'est pas "brossa", les deux mots ne sont pas homonymes.  Mais cette observation n'est pas réellement de nature à invalider l'hypothèse d'un seul mot car Il est possible que bruèissa représente une forme locale de bro(i)ssa et que les deux formes aient pu diffuser et co-éxister, chacune avec sa spécialité sémantique. Dans ce cas, il faut admettre que la signification de "sorcier-sorcière associée au mot qui veut dire normalement buisson  a une origine celtique pour le mot lui-même et aquitano-pyrénéenne pour la signification, c'est le catalan ou/et le gascon qui ont du passer le mot avec le sens de sorcière aux autres langues romanes de la péninsule par voyage ou diffusion (broisha /bruixa -> bruxa). 


L'hypothèse alternative est qu'il s'agit de deux mots d'étymons différents qui se seraient confondus en se croisant en gascon et en catalan. Cette deuxième hypothèse, bien sûr, n'est pas du tout à écarter. Il pourrait s'agir d'une confusion d'étymons, un étymon clairement identifié, gaulois, à l'origine des mots pour bruyère ret buisson et un autre étymon, non identifié, d'une langue également non identifiée, pour signifier sorcier-ère.  Un autre exemple de confusion probable d'étymons avec bruix (sorcière) concerne le mot de météorologie catalane calabruixa var. calabruix qui désigne un type de grêle. Coromines interprète étymologiquement le mot comme "pierre de sorcière" en celtique (en s'inventant au passage un mot celtique *karya) . On retrouve des mots semblables au mot catalan dans les langues italiennes (en particulier gallo-italiques comme le lombard mais pas que) sous diverses formes selon les parlers: calabrozza, calabrosa etc, avec la signification de givre, de mince couche de glace, de pluie glacée mais là, plus question de sorcière, brozza signifie givre, gel, probable cognat avec l'italien broccia (mot florentin) qui signifie petite pluie fine et glacée (Dizionario italiano Olivetti voir).   La relation sémantique avec *wroykya "buisson" n'est pas évidente, pas d'avantage celle avec avec sorcière. L'hypothèse d'un celtisme pour expliquer  le mot toscan "broccia" n'est d'ailleurs guère raisonable, même si l'étymon du mot italien est assez peu claire (voir ).  Le mot catalan calabruix(a) pourrait être une version catalanisée  d'un mot d'origine et de construction italiennes,  comme est de formation italienne son synonyme catalan "calamarsa" (lit. précipitation de mars ? cala pourrait être le mot du lexique italien cala, substantif f. déverbal du v. calare comme l'est calo en substantif m.: descente, chute du haut vers le bas, aussi précipitation au sens météorologique du mot; marsa est  la forme féminine de l'adjectif italien "marso", qui signifie: de mars), ce qui expliquerait l'absence de mots similaires dans les autres langues romanes en dehors des langues d'Italie 




Bref, tout ça pour dire que la question de la relation étymologique entre les dérivés du proto-celtique *wroyko (bruyère, buisson) et le mot gascon pour dire sorcier-sorcière reste ouverte.