dimecres, 31 de desembre del 2025

Du latin canalis au français jaillet via le gascon gau, galet, galeta puis l'aragonais gallo, gallete, galleta

Ce petit article a comme objectif d'inciter les romanistes à considérer la philologie gasconne avec sérieux et application, car la formation du gascon est  très ancienne, antérieure au septième siècle. L'évolution phonétique très particulière des mots gascons est une source de gasconismes en latin tardif et, en conséquence,  dans les langues romanes en général.  On en voit ici un cas d'école.



Il existe un mot gascon pyrénéen très particulier qui sert à désigner un canal  et ce mot est gau (s.f.) , variante agau (s.f.). Coromines fait remonter ce mot à "aqualis" . J'ai émis une hypothèse alternative selon laquelle on doit rattacher étymologiqement le mot non pas à "aqualis" mais à "canalis". Je préfère de beaucoup cette deuxième hypothèse. Pourquoi? Parce que l'adjectif latin "aqualis" est bien représenté en gascon, c'est "aigau" var. "aiguau". Comme substantif, on le trouve effectivement en gascon mais ce substantif "aig(u)au"  est toujours masculin en gascon comme en catalan ("aigual")  alors que "gau" est toujours féminin (comme "canalis"). "Gau" (s.f.) n'est pas "aigau" (s.m.). Ensuite et surtout, je peux rapporter à "gau" ses dérivés affixés "galet" et "galeta" qui, eux-mêmes, renvoient à canalĭttu et canalĭtta, formes hyper-bien représentées dans l'ensemble des parlers romans. L'expression catalane "canaleta de la font" qui désigne le tuyau par lequel surgit le jet d'eau de la fontaine se retrouve en gascon pyrénéen sous les deux formes: "canaleta de la hont" ou "galeta de la hont", selon le parler considéré. "Canaleta", "galeta", il s'agit bien de deux allophones d'un même mot.  Coromines n'a jamais su faire le rapprochement entre gau et galet(a)  et c'est ce qui l'a entravé dans l'analyse philologique de ces mots. 


"Gau" est une des deux formes populaires de canau en gascon, l'autre forme dialectale étant "cau" (s.f.).  Cette deuxième forme, armagnaquaise et landaise (entre autres),  avait déjà quasiment disparu à l'époque de Palay, déplacée par la forme restituée "canau",  mais son dictionnaire en conserve des traces bien visibles. La forme pyrénéenne "gau" est restée bien vivante, mais en grande concurrence avec la forme restituée qui est "canau', également en vigueur dans les Pyrénées.  On ne peut évidemment pas exclure un influx de "aigau" dans la déformation de "canau" ayant conduit à   "agau" mais l'étymon reste "canalis".  


Un doublon similaire à notre gascon canau-gau (var. cau) se  retrouve en galaïco-portugais, où "canal" (forme "restituée" et pan-romane choisie par le standard portugais) est employé en concurrence avec "caal" (forme populaire choisie par le standard galicien).  

 

De manière fondamentale, les mots gascons  "galet" et "galeta" ont été adoptés en aragonais sous les formes "gallete" et "galleta", avec gémination par confusion d'étymon comme l'indiquent clairement les dérivations aragonaises. En effet, de ces mots "gallete", "galleta" a été dérivé par dégression populaire le mot "gallo" qui a pris  le sens de "jet de liquide" en aragonais, en plus de celui, normal, de "coq". Le sens de gorge (entonnoir anatomique) du mot gascon "galet" se retrouve bien en aragonais avec "gallete". L'aragonais a "inventé" un mot supplémentaire par changement d'affixe: gal(l)illo qui désigne la glotte ou la pomme d'adam selon les parlers. De l'aragonais, le castillan a hérité gallete (gorge), galleta (burette) et le néologisme galillo (glotte).    Notre mot "galeta" est finalement passé en latin médiéval sous sa forme aragonaise (avec géminée): galleta avec le double sens de "burette" (galeta en gascon, galleta en aragonais et en espagnol, galheta en portugais, le latin ecclésiastique a du être fondamental comme véhicule de notre mot voyageur) mais aussi de "seau" qui est aussi le sens du mot galleta en aragonais et en roumain, galleda var. galleta en catalan,  jaillet en français, on voit que le mot français a subi à son tour l'effet de la confusion avec gallus. a. fr. jau. 

Le mot galet de l'expression béver a galet ou béver de galet est donc bien un gasconisme, le mot galet étant la forme pyrénéo-gasconne de canalet. Le beure a galet des catalans est un parfait gasconisme, il convient de rendre à César ce qui lui appartient. 

On a avec la trilogie "gau, galet, galeta" un cas d'école montrant comment un mot obscur de formation gasconne peut conquérir les lexiques romans (et, au-delà, germaniques et slaves, cf. Coromines) grace à l'incorporation en latin de la forme affixée  "galeta"  en version aragonaise ("galleta").