dissabte, 15 d’octubre del 2022

Du ventre et de taureaux. Bron, brona, Tarusates, Tarbelli, Tursan.

Jules César écrivit dans la Guerre des Gaules que la Marne et la Garonne séparaient respectivement les Belges et les Aquitains des Gaulois. On ne comprend pas très bien ce qui justifie la distinction entre Belges et Gaulois, peut-être un intérêt politique de la part de César, la linguistique ne nous apportant aucun élément de différentiation. En revanche, on comprend que l'aquitain ou proto-basque puisse avoir été un facteur de différentiation clair entre Aquitains et Gaulois . Est-ce à dire qu'il n'y avait pas de peuplement gaulois (au sens linguistique du terme, c'est-à-dire celtique ancien continental) en Aquitaine? Ce n'est certainement pas le cas. Les Celtes occupaient la vallée de la Garonne, de Salardunum (Salardú, Val d'Aran)), capitale des Garumni, jusqu'à Burdigala (Bordeaux) des Bituriges Vivisques. Le Médoc était celtique (territoire des Meduli). une bonne partie des Landes maritimes  constituait le territoire des Boii (Bogés en gascon) ou Boiates, capitale Boios, actuellement La Teste de Buch). Les Boii (Boïens) étaient une des plus importantes nations celtiques avec des ramifications ailleurs en Gaule (dans l'actuel Bourbonnais) mais aussi  en Italie du Nord, en Bavière, dont le nom même fait allusion à la fondation par les Boii; également en Europe centrale : actuelle Hongrie, actuelle Bohème  (Tchéquie), dont le nom signifie foyer des Boii et jusqu'en Silésie. 
Je pense que le Tursan devait être aussi un peuplement celtique, c'est ce que suggère la présence dans le lexique gascon local, du mot "bron" (a.g. broun, s.m: ventre qui pend, Dic. Foix), également employé sous forme féminine et synonyme  brona (broune, s.f.)  par  le curé et poète J.M. Barros, natif d'Urgons dans le Tursan (cf. Flocada Aurivas, Per Noste).  Ce mot avec cette signification est hyper-restreint au gascon du Tursan, absent ailleurs en gascon et même dans les autres langues romanes. On  retrouve  ce qui apparait être la forme féminine de ce mot  dans des parlers d'oil de l'ouest ("brone", "brogne" s.f.)  mais exclusivement avec la signification de mammelle ou de téton (appliquée aux animaux) et jamais de ventre. Cette signification de poitrine est celle du mot breton bronn (s.f.): mammelle, mammelon, éminence arrondie. Le mot sous les deux formes masculine et féminine est connu en moyen gallois avec, au, masculin, la signification pour bru de ventre, bide tandis qu'au féminin bron signifie poitrine (Matasović). L'étymon  est le même mais le proto-celtique avait probablement deux mots, l'un, "brusna" (s.f.) signifiait poitrine, mammelle, alors que la forme masculine ou neutre (bruson selon Matasović, brusno- selon Delamarre) désignait le ventre proéminent, le bide. Le gascon de Tursan a conservé la forme masculine de ce mot avec cette signification de ventre proéminent, bide, ce qui constitue un celtisme remarcable qui, à ma connaissance,  distingue cette variété de gascon de tous les autres parlers romans, gascons ou non. Le mot est également bien gaulois (sobriquet Andobru = Gros-Bide,  Bas-du-Ventre selon Delamarre in Dic. L. Gaul. On le retrouve aussi en irlandais avec ce sens de ventre (brú, au génitif: bronn; fr.  estomac, ventre). Les Tarusates devaient être celtes, leur nom sonne d'ailleurs celtique  (taruos = taureau, Tarusates,  les gens du Taureau = *Tarusani > Tursan). Leurs voisins les Tarbelli  (capitale Aquis, Dax) pourraient bien l'avoir été aussi (*Taruelli  > Tarbelli, les "Taurillons"), leur nom suggère une relation avec les Tarusates, peut-être une émanation dissidente. 

diumenge, 25 de setembre del 2022

Acelar ou asselar (mettre à l'abri) , l'hypothèse de l'emprunt du verbe espagnol aselar: mettre à l'abri (étymon celtique: sedlon)

 *Sedlon (siège). Coromines donne ce mot pan-celtique comme étymon du mot cantabre (parler "pasiegu" )  "sel" (s.m.), estive nocturne en altitude protégée autrefois par une palissade circulaire avec à l'intérieur la cabane du berger (d'où le nom), l'exacte équivalent du "cortau" gascon. Pour dire qu'un berger rentre s'abriter dans le sel, on emploie le verbe pronominal aseláse (le verbe est passé en espagnol: aselarse, el pastor se asela). Le verbe s'employait aussi sous forme transitive pour dire qu'on mettait les animaux à l'abri dans cette estive barricadée.  Maintenant que ce type d'estive barricadée a disparu, on réserve le verbe pour les poules: mettre les poules à l'abri des renards et autres prédateurs  (aselar las gallinas). Le verbe (ou un homonyme) existe en gascon selar, asselar: mettre à l'abri (du soleil, du vent), abri se disant sela et assela. Se mettre à l'abri: asselar-se, asselà's.  Les linguistes le confondent -peut-être  à tort- avec le verbe d'origine latine "celar": (re)celer, cacher mais la signification est bien celle du verbe gascon "acessar" (fr. mettre à l'abri, abriter", dérivé verbal d'a(r)cès < latin recessus) et non pas du tout celle de "celar". La "celada" c'est l'action de cacher, l'asselada est l'action d'abriter, asselar = mettre à l'abri du soleil, du vent,  pas nécessairement à l'intérieur d'une pièce.  Il est possible qu'il y ait eu croisement d'acessar x celar et le mot (a)celar ait pris le sens d'acessar par confusion. Ou alors il y a deux mots d'étymons distincts, l'un est le latin cela, celo, l'autre pourrait être  le même que notre mot cantabre aselar qui a fondamentalement le sens de mettre à l'abri. Dans ce cas, l''étymon est le celtique "sedlon" qui signifie siège.  Nous allons examiner de plus près cette deuxième hypothèse. 

En cantabre, "sel" et "aselar" ont des allèles de même sens utilisés dans les parlers des autres vallées. Le mot "sel" est pasiegu (parlers des vallées de Pas-Miera), son allèle "seju" (sejo en graphie officielle castillanisée, le mot est resté comme toponyme) est purriegu (Polaciones) et cabuérnigu (vallée de Cabuérniga). A Polaciones, on dit bien:  asejar las gallinas, selon le président de Cantabrie, M-A. Revilla, locuteur naturel de purriegu ou de ce qu'il en reste. L'étymon sedlon proposé par Coromines permet d'expliquer les deux variants.  On a la séquence: sedlo- > sellu- > seju ou sel selon les vallées. Comme seju, sel dérive de sedlon par un processus tout-à-fait régulier, *sedlo- -> *sellu- --> sel. Dans un cas, le mot garde la voyelle atone (seju), dans l'autre cas, non (sel), ce qui n'est pas très étonnant avec les Pasiegos qui sont de la vallée du Pas  ( < passu-, id. qu'en gascon) et non pas du Paso. Ce résultat "sel" est néanmoins différent de celui qu'on aurait obtenu si la formation avait été gasconne. On aurait eu  *selh, *aselhar. On est alors obligé d'admettre un emprunt. Le mot gascon pourrait être un emprunt pastoral à la langue des pasiegos, grands bergers devant l'éternel.  En échange les cantabres ont reçu gallete (beber a gallete et gallete = gorge, gosier) qui est un mot venu du gascon (galet, béver a galet; galet < canalĭttu-).  Il est probable que la langue castillane ait  servi d'intermédiaire dans les deux cas; les mots "sel" et "aselar" ayant été incorporé dans le lexique de l'espagnol standard, comme "gallete". Néanmoins,  le contact direct entre bergers gascons et bergers pasiegos est plus que vraisemblable, les deux ethnies ayant en commun le besoin de l'émigration pour survivre et la pratique du pastoralisme. Les Gascons pratiquaient cette activité des deux côtés des Pyrénées, espagnol comme français, le pastoralisme étant considéré comme une activité particulièrement  "vile" et indigne  en Espagne, les Gascons remplissaient le vide. Le pastoralisme montagnard est aussi la spécialité et le fondement même de la vie des Pasiegos dans leurs vallées, ce qui leur a valu d'être méprisés et ostracisés par leur voisins cantabres.  Les Pasiegos aussi se louaient là où ils pouvaient, dans toute l'Espagne. 

En conclusion, il est possible que verbe gascon asselar : mettre à l'abri, provienne de l'espagnol aselar: id. et ne doive rien au latin celo, cacher. 

dijous, 22 de setembre del 2022

Bodwo, bodwa, un étymon pour le gascon: bodwakos: badòc, bidòc.

 *Bodwo, Bodwā (combat > corneille, rapace ) C'était un théonyme proto-celtique et aussi un mot du régistre ornithologique.  Le mot était (et est toujours) utilisé pour nommer des oiseaux de différents types, à l'origine corneille (v.irl. bodb : corneille) alors qu'en en irlandais contemporain, le mot (devenu "badhgh") est utiisé pour désigner le vautour  irl. badhgh: vautour, badhbh ghríofa : vautour fauve (griffon), badhgh mheigeallach (gypaete barbu, lit.  vautour énorme). Toutefois l'étymon peut aussi s'appliquer à d'autres oiseaux;  en v. breton le mot boduu, bodou est glosé "ardea" (héron ???) tandis qu'en gallois: bòd, bodo s'applique à  des rapaces du type  buse, busard, autour etc . En breton, baou var. vaou signifie également buse  (voir ici et  adresses bodw (baou)  et vaou ). 

Je suis intrigué par les mots occitans et gascons affixés en -ac (occitan) et òc  (gascon) pour dire buse ou assimilés (gascon busòca,  bissòc, busòc,  bisòc; en Médoc on a bidòc qui signifie busard (Palay et D. Escarpit, ) mais aussi chouette (Palay), toulousain busac (milan royal selon le dic. Acad. Oc. , busa étant buse) , ancien provençal buxac (= budsac ou bussac ?). A part bidòc, d'étymon inconnu selon le FEW, on suppose que ces mots dérivent du latin "buteonem"  par dégression illégitime (buteonem> buson > buse - busa. Cette dégression est probablement française, le mot en v. français était buson ou buison ou busson,  d'où buson  > buse par dégression illégitime, et busard (v. fr. buisart) et bussot par changement de (pseudo)-affixe. J'y reviendrai plus loin. Mais en occitan,  -ac ou òc comme affixe, c'est plutôt étonnant, alors que l'occitan dispose de tout plein de suffixes très productifs. On sait que ce suffixe -ac est celtique, et aussi òc en gascon qui en est une variante phonétique provoqué lorsque le "a" de 'affixe celtique est impliqué dans une diphtongue  (/wa/ ou /ja/) -> /ɔ/ en gascon (cf kalyako-, bostyako et wroykyako-),  donc la question de savoir si l'étymon est celtique  est  également légitime.  Ces formes terminant en -ac et -òc  pourraient-elles avoir gardé la trace de cet étymon celtique "bodwa"  via un ancien "boduacus" parfaitement attesté comme anthroponyme gaulois (cf.Dic. Gaul. Delamarre)? 

 L'étymon bodwo affixé  pourrait expliquer le mot médoquin bidòc dont badòc (stupide, niais) pourrait être une variante confondue avec la série des dérivés de badar, badaut (< badau  <batalem, le t final n'est pas étymologique, pas plus que le "d" du mot français "badaud, id.). Badaut = badalh (qui baille, musart, stupide, niais) (< batalem, étym. batare, fr.bailler). Le mot français buse a également le sens métaphorique de niais, stupide. Dans le cas du mot limousin busaròc qui a également cette signification de stupide, l'allusion au rapace  (busaròc = busart x busòc)  est claire mais la confusion avec badau(t ) etc n'est pas possible ici.  Le sobriquet attribué aux habitants de Busy en Béarn, "buseròc" suggère que le mot a du y être lexical autrefois. De même, busòc (busard, milan etc) a aussi un sens métaphorique de maladroit, musard. La sémantique est proche de celle de la série des dérivés de badar (qui baille, musard) mais la confusion avec badaut, badalh n'est pas non plus possible ici. En revanche, elle a pu l'être avec badòc. Le latin médiéval a cet étrange mot "bedoccus" pour désigner un étranger sans domicile fixe (cf. bedoccus in Ducange), il s'agit très certainement de notre étymon bodwakos > roman bidòc, badòc, *bedòc > lat. bedoccus. Si ce n'est pas notre étymon, lequel?  La sémantique, selon moi, fait allusion  au caractère itinérant de certains rapaces comme le milan noir (bidòc en gascon médoquin), qui sont des oiseaux migrateurs  absents en hiver dans nos régions. On voit avec le mot busòc (en substantif: variété de rapace telle que milan, buzard; en adjectif,  le mot signifie musard),  que le concept de musardage n'est pas, ou pas seulement, du à l'étymon batare (fr. bailler);  le rapace, lui aussi, musarde par métaphore.  On voit là que l'étymon celtique bodwakos: rapace a bien pu se confondre avec celui du latin batare en roman. 

Les deux étymons synonymes, le celtique bodwa et le latin buteo ont pu également se croiser dans nos variétés romanes, d'où la variété des formes gasconnes bisòc, busòc (< busart, attesté sous la plume occitane de Marcabrú, troubadour gascon), bussòc mais aussi le mot occitan busaròc que l'on retrouve en béarnais avec le sobriquet buseròc, etc. Le mot de l'ancien occitan buxac (budsac ? bussac?) pourrait également dériver de bodwakos avec influx de busart > busac. Le mot italien bozzago (var. bozzagro, buzzago, buzzagro, anc. abuzzago) (fr. sorte de rapace de moyenne taille) pourrait avoir la même origine celtique (bod(w)acus) peut-être via l'occitan buxac (= budzac ? ). L'art de la fauconnerie pourrait avoir été le véhicule de l'emprunt, on y reviendra au paragraphe suivant avec le mot galicien, asturien et cantabre  buzaco, buzacu, à l'évidence identique à busac, busòc.. 

 En cantabre on retrouve notre mot sous la forme buzácu à côté de bujárdu , bubárru, bubiárru et bujárru qui désignent tous diverses espèces de rapaces, épervier,  milan, busard, hibou etc. ( cf. "el habla pasiega" Ralph J. Perry index bujarru ), lire aussi cet article en langue cantabre, ). La présence de cette forme buzácu est très intrigante. On la retrouve (ou un homonyme) au Portugal sous la forme buçaco, non lexical au moins en portugais, c'est en fait un oronyme représenté une seule fois (Serra do Buçaco ou Mata do Buçaco, autrefois Monte Bussaco) l'étymologie est débattue et des linguistes portugais l'assimilent  aux toponymes Boussac et Bouzac occitans (domaine de Boccius, Boduacus ?) voir . Mais attribuer la signification gallo-romaine de propriété de X à un oronyme portugais, c'est plutôt bizarre. Il doit en fait s'agir  d'une forme de notre mot désignant un rapace, peut-être l'épervier qui se dit buzacu en cantabre (esp. gavilán). En galicien on a également ce même mot buzaco qui se dit d'une personne téméraire, qui agit de manière inconsidérée, chez qui la force l'emporte sur la raison.  Il est vraisemblable que l'origine du mot galicien soit le nom d'un rapace, sans doute l'épervier, même si le mot ne sert plus.à nommer l'oiseau.   En asturien, en revanche, le mot buzacu désigne un rapace de manière assez générique, l'applicant à des espèces très différentes selon les parlers, épervier, autour,milan, buse, hibou, chouette...Ce mot a aussi, comme adjectif (buzacu- buzaca), un sens métaphorique de malingre, de faible constitution. Pour nous-autres qui étudions le gascon, cela nous rappelle cette comparaison gasconne: "prim com un busòc" (interprétée comme "qui la les jambes frêles comme les pattes d'un milan"), mais peut-être allusion devenue inconsciente au nom ancien de l'autour femelle en gascon qui était "prim" (frêle, mince) en raison de sa stature plus frêle que le mâle alors que le mâle était appelé tersol (plus gros d'un tiers) (DAG 12 1510). De la même façon, le faucon femelle était appelé "falcó prim" en ancien gascon. La sémantique de l'adjectif asturien pourrait bien provenir du vocabulaire de fauconnerie.  Le lieu de la Serra do Buçaco se trouve du côté de Luso, au sud du fleuve Douro, c'est-à-dire en territoire anciennement lusitain (le lusitain était une langue indo-européenne non-celtique que l'on suppose d'avantage affine à l'italique antique), on n'est plus en Celtie. Par contre, en galicien et en asturien, là où le mot existe bien sous la forme buzaco, buzacu, là, pas de doute, on est bien en territoire celtique. 


Il est complexe de faire dériver buzaco du latin buteo qui, de toute façon, ne semble pas faire partie du lexique patrimonial de l'ibéro-roman. Cette dérivation impose une dégression d'un mot dérivé de  buteonem avec changement de (pseudo-)affixe, *buzón  > buzaco. Le français est coutumier de ce genre de dégression avec des substantif terminant par "-on" qui sonne comme un affixe. Comme exemple: sable < a. f. sablon (< sabulum), buse < a.f. buson (<buteonem).  Mais en espagnol comme en occitan, c'est plus compliqué à admettre, surtout que l'on n'a aucune  trace de ce mot "buzón" dérivé de "buteonem" ni en occitan ni en espagnol, sauf erreur de ma part. L'occitan ancien ne connait que buzac (avec toutefois une variante phonétique  de l'affixe celtique romanisée en- at, cas classique en occitan et en gascon cf cauerat < cauerac, colac vs colat ; creac vs creat, crear  etc) ) et buzart qui semble être une forme française (buson > busart) passé à l'occitan. Un fauconnier est appelé buzacador dans la langue des troubadours, cela ne va guère de pair avec l'hypothèse d'un affixe soi-disant dépréciatif, l'oiseau étant au contraire très prisé.  Donc l'autre hypothèse serait que le mot bisòc, oc. busac, asturien et galicien buzacu, buzaco vienne d'un autre étymon, un mot celtique puisqu'accompagné de l'affixe celtique -ac, l'étymon celtique étant  alors bodwo (cf. gallois bòd, bodo rapace, buse; breton bolz, bou id.). 

Le mot gascon dérivé du celtique, originaire du nord du domaine (Médoc: bidòc) a du se croiser avec le mot busart (buzard) probablement  hérité de l'ancien français et que l'on retrouve en occitan sous la plume en particulier du troubadour gascon Marcabru, d'où les hésitations phonétiques du gascon qui les a mélangés (bidòc, bisòc, bissòc, bussòc, busòc). On a là, sous ses diverses formes, le mot gascon cognat de l'occitan busac, également d'origine celtique et lui aussi influencé par busart.  Il est possible que le mot  ibéro-roman busaco, busacu soit un emprunt, un mot voyageur provenant du nord des Pyrénées (Toulouse? ) et qui aurait voyagé par les chemins de Saint-Jacques possiblement comme terme de fauconnerie. Le mot occitan busac, sous une forme adaptée à l'ibéro-roman, a, de cette manière, enrichi les lexiques de l'astur-léonais (cantabre inclus) et du galaïco-portugais, tandis que les formes cantabres en -arru (bujarru, bubarru etc) sont les cognats du castillan buharro qui désigne le petit-duc dans le lexique standard (étymon latin bubo > bu(h)o  + affixe -arro). Le "b" intervocalique du mot cantabre serait une consonne anti-iatus  comme le b du mot gascon flabuta (<flaüta) (El habla pasiega  R.J. Perry § 59). 

  Tout ce développement pour soulever plus de questions que d'apporter de réponses, mais au moins on aura appris quelques mots bien exotiques et fait fonctionner nos neurones. C'est déjà ça. 


dijous, 15 de setembre del 2022

Berret, barret, brac, bracar, abracar etc, bret, barraquet: l'étymon gaulois "berros" en gascon (berrĭttu-, berrāku-)

*Birro- (Et. Dic. Proto-Celtic) ou berro- (Celtic Lexicon), Gaulois birros (selon Delamarre Dic. Gaul.) (court) > gasc.  berret (et variants) , brac (abracar etc)  et barraquet. . Le mot gaulois est passé au latin adapté en birrus pour désigner un vêtement court à capuche. Le mot  est à l'origine du mot gascon berret et de son variant synonyme barret , qui en dérivent par affixation régulière via  leur dernierancêtre commun /*bə'rret/. On trouve aussi plus rarement une troisième forme birret, plus fidèle à la forme latine, cette forme est passé à l'espagnol, autrefois birrete, aujourd'hui plutôt birreta qui a bien le sens de béret (synonyme de "gorra").  Les cognats sont le v. irlandais berr (court), v. cornique  (id.), breton berr (id.), v. gallois bir (id.), gallois byr (id.).

Le FEW et Wartburg veulent faire dériver le mot gascon brac (bref, court) du grec bracchis (id.), ce qui n'est pas du tout crédible  en raison de l' absence totale d'indice de peuplement grec en Gascogne et du fait que le mot est restreint au gascon et au languedocien. Même si je ne suis pas du tout linguiste, ma simple culture générale m'incite à chercher à faire remonter le mot gascon brac  à un dérivé de notre mot celtique *berros simplement affixé avec āko : *berrākos ou *birracus (court, raccourci?). Cette dérivation est attestée en latin sous forme adaptée en anthroponymie gallo-romaine : Biracus, Biraco cf. Delamarre,  Dic. L. Gauloise, adresse birros). Je pense que ce mot *berrākos (birracus) est à l'origine de notre mot gascon brac (court) via */bə'rrak-/ > brac . Cette voie étymologique m'est indiquée grâce à l'existence d'un autre mot, béarnais celui-là,   "barraquet -a" qui désigne une  "personne petite et ronde" (Palay) et qui me fait remonter sans aucun problème à notre */bə'rrak-/ affixé en */bərra'ket/ > barraquet, au final un dérivé de *berros par double affixation. 


La simplification syllabique par perte du schwa devant la géminée  /bə'rrak/ -> /brak/  pose néanmoins question.  A-t-on un autre exemple d'une telle simplification berr -> br- en gascon?  La réponse est oui mais  il est toujours lié à cet étymon. En effet, on a le mot  "bret, -a" qui est un adjectif qui signifie précisemment court de jambe, appliqué à une personne (Palay) (berrĭttu-/ -a) .   Dans Les landes, on trouve un mot homonyme "bret" qui signifie bègue, l'étymon est différent, c'est brittus (breton); ce mot, avec cette signification, est aussi occitan. Les doublons étymologiques /*bə'rrak-/ (> barraquet) et /brak/; berret et bret,  nous en rappellent d' autres en gascon : beròi et bròi (beau, joli); verai et vrai (vrai) (en gascon, sauf un très petit nombre de parlers très localisés, /v/ n'existe pas, le "v" initial est prononcé /b/); cauerat et caurat  (< kawarāko-) (cachalot); ou bien le futur des verbes du premier groupe en gascon occidental, par exempe cantar (chanter) futur 1ere personne: /kantə'rɛj/ (qui est la prononciation ancienne conservée dans certains parlers), ailleurs: /kant'rɛj/ (évolution de la précédente), encore ailleurs: /kante'rɛj/ (autre évolution de la première)  (je chanterai cf. ALG). C'est une caractéristique des parlers les plus occidentaux (maritimes), ce qui nous incite à localiser l'origine de la forme "brac", probablement dans le gascon maritime ou proche  (parlers où brac co-existe avec bròi et vrai). Dans son dictionnaire français-gascon de Biscarrosse, H. Lartiga traduit l'adjectif français "court -e" par "brac - a" et rien d'autre, "cort" y est absent. Le mot béarnais barraquet nous indique que la forme ancienne "berrac" /*bə'rrak-/ a du y être employée autrefois. Néanmoins, si la perte de la voyelle médiévale prétonique bər > br est assez banale, celle qui concerne notre étymon l'est moins en raison de la géminée qui suit. Néanmoins, même rares, des cas semblables sont repérables. Par exemple borrolh: fouillis, entassement, pêle-mêle, gros nuage a un jumeau sous la forme brolh qui a les même sens (souligné par Palay, voir ces deux mots). L'étymon est probablement burrā, cf.bourre, bourrer et gascon borròc: gros nuage, borrolh <* burruculu-. .  Dans notre cas, la perte de la voyelle prétonique a pu être soit spontanée soit induite par l'attraction d'un autre étymon, par exemple  le v.-francique breka (brisé) donc le dérivé substantif masculin gascon, brec (ébréché) est parfois utilisé pour brac (court) par confusion. De même brolh (breuil, gaulois *broglios) a pu attirer borrolh.  En tout cas, le mot "brac"  a envahi le territoire gascon et voyagé jusqu'en Languedoc, en cohorte avec quelques dérivés. Au delà, en Provence rhodanienne, seul deux dérivés de brac se sont installés dans la langue, le verbe abracar et son participe passé substantivé: abracada mais pas "brac" lui-même. J'y reviendrai. 


 "Barraquet" est à *berrakos" (birracus) c'est que "barret" est à "*berros" (birrus). On a de bonnes raisons de penser que le "e" prétonique était prononcé  /ə/ en gascon médiéval, c'était aussi  le cas avec le "a" prétonique  au moins en gascon occidental  (cf. segrat < sacratu, segrement et segrament < sacramentu, reson < rationem), seson  <sationem  et même shegrin < fr. chagrin  etc ) , ce qui a amené à des hésitations et des doublons phonétiques en gascon moderne comme demorar-damorar (lat. demŏror) terrible- tarrible (lat. terribilis), seson/sason, (ar)reson /(ar)rason, trebuc-trabuc (de *travucu-, étym. trava et non pas trans-buc , n'en déplaise au FEW et Wartburg. En gascon, est encore attestée la variante synonyme tra'wuk de la quelle la forme trabuc  /tra'βuk/ a du dériver par commodité articulatoire, comme flabuta (flute) a dérivé de  flaüta. La nouvelle forme a largement- mais pas complètement-  remplacée l'ancienne, pour trauüc comme pour flaüta, flauta. On a donc bien à faire à une forme affixée de "trava", donc entrave  et non pas trans-bol ni trans-ventre (!). Trebuc/ trabuc est un gasconisme qui a voyagé avec la machine d'artillerie médiévale du même nom. Le mot fait allusion a l'ingénieux et révolutionnaire système d'entrave permettant de monter et de garder le contrepoids en l'air, le temps de charger la machine. C'est de la machine de guerre - le trébuchet, forme adaptée en français du mot gascon prononcé /trə'βuk/ en gascon médiéval, la machine se disait bien trebuc et trabuc en ancien français - - qu'est venue la dérive sémantique vers le concept de basculement,  l'étymologie n' a rien à y voir. Fin de diversion, mais je me suis fait plaisir.   Bref, le doublon "berret"  et "barret" (< *bərret) est un bon exemple de ce type de doublon phonétique (cf. barret dans dic. Palay).  L'ancienne prononciation gascone du mot est conservée en catalan oriental: /bə'rret/ , réalisée en /ba'rret/ par le catalan occidental qui n'a pas le schwa en magasin, d'où la réalisation graphique "barret" dans le lexique commun aux deux modalités catalanes ( barret, barretina) et passée à l' espagnol: barreta.

En gascon les mot berret, bret, barraquet et brac partagent le même étymon celtique berros (aka birrus en latin) qui signifie court. Et ce sont, en même temps, quatre mots on ne peut plus caractéristiques de la langue gasconne. Le premier s'est répandu dans les langues romanes en même temps que le béret lui-même. Pour dire "court",  le celto-gasconisme  "brac", s'est pratiquement substitué au dérivé roman de curtu- "cort" (court) dans une grande partie de l'aire gasconne, ne prêtant plus à ce dernier mot qu'une notion temporelle, de durée,  le sens de rapide, de bref ou de brusque. Brac-a, avec son allure de pseudo-onomatopée, est un mot terriblement expressif comme les Gascons les aiment. C'est ce qui a du assurer son succès et, avec lui,  celui de ses dérivés comme braquet (nom de petit bovin, aussi nom de famille), braquèr -a (état de ce qui est restreint, en s.f. petit bétail), abracar (abréger, raccourcir, tronquer, tirer au plus court), abracada (action de raccourcir, d'abréger, résultat de cette action),  abracadèr-a= abracadís =abracadura,  (adjectif:  qu'on peut raccourcir; substantif: abatis, raccourci) , abracalhs (débris obtenus par le raccourcissement) , abracaire (celui qui raccourcit), embraca à Ossau (raccourci ,ALG III 294), embraquèra en Aspe (raccourci, cf. ALG III 294), bracar (tailler, Aran)  etc. Le mot "brac" est absent du dictionnaire garonnais de Balloux, mais  le mot est connu de Jansemin. Il est absent aussi du lexique de Pierre Moreau (La Teste de Buch), mais cort n'y est pas d'avantage et abracar y est bien. Il est présent dans le gascon des Landes (dic. Foix; dic. H. Lartiga/ Ph. Lartigue, gascon de Biscarosse, ce dernier traduit l'adjectif français "court" seulement par le mot brac et ignore cort) et en Béarn (Palay).  Il est connu aussi en Aran mais l'adjectif "brac" est employé surtout à Canejan- Bausen, on emploie plutôt "cort" dans le reste de la vallée (curt en catalan, c'est le même mot avec le même vocalisme),  mais le verbe bracar (tailler les plantes) est encore bien vivant dans toute la vallée  (Coromines: el parlar de la Vall d'Aran). Le mot brac  est utilisé par B. Larade (1585- v1630)  qui était haut-commingeois (Montréjeau) mais qui écrivait  à dessein dans le gascon des poètes de Lomagne: "l'an me semble mès court qu'uë braque journade". Brec est localement utilisé pour brac c'est du à une confusion d'étymon avec le v. francique *breka (brisé) romanisé en *brecca . Brec est cognat avec fr. brèche  On  trouve le mot brac en gascon toulousain (N. Bèthvéder) d'où il a du passer la frontière linguistique.  Le même mot "brac" (court) se retrouve  en languedocien. Là, la famille étymologique des dérivés de *berrākos  y est  plutôt moins riche, se limitant à quatre mots: brac, abracar  abracada et abracadís (Dic. Ortog. Gram. Oc J. Ubaud). Ces mot languedociens viennent probablement du gascon. Certains de ces mots ont voyagé jusqu'au provençal: abracar (abattre et lit.  "raccourcir la route", c'est-à-dire prendre un raccourci) et abracada (le résultat du verbe : raccourci, abatis) (Mistral), soit deux mots seulement. On constate que la variété des mots du lexique associé à l'étymon s'épuise de plus en plus  à mesure que l'on s'éloigne de la Gascogne. C'est, pour moi, un indice que l'étymon est bien originaire du gascon, c'est là qu'il y est présent depuis le plus longtemps. 

 Le sens d'écervelé et de fou que l'on trouve associé au mot brac  vient probablement du nom du chien (le braque, justement), l'étymon est distinct, c'est un germanisme (brakko = chien de chasse). La signification de boue, bourbier, fange, lieu humide est celle d'encore un autre mot brac ou brag (Palay) (en désuétude sous cette forme en gascon qui préfère la forme féminine braga), l'étymon est très obscur, peut-être le même que celui du verbe celtique brag(y)o (Etym. Dic. Prot-Celt.) alias brag-je/o (Celtic Lexicon): péter (<sentir mauvais ?) à rapprocher de bragno <mrakno (puant) (Celtic Lexicon).  Matasović tient le verbe celtique brag(y)o pour cognat du germanisme brakko (chien de chasse) et du latin fragro (exhaler une odeur, sentir bon). Le FEW nous suggère un étymon gaulois bracu qui signifierait marais mais ce mot n'est pas terriblement bien documenté dans les langues celtiques.  Le FEW et Coromines font remonter le mot landais brau (marais) à cet étymon brac, toutefois le mot landais brau rappelle fortement le mot gascon plus général grau, grava (marais, marécage, bourbier et aussi grève,  gravier)   < gaul. *graua: sable, gravier). Il est possible que brau soit une forme landaise de grau (< *graua). Gravè(i)r signifie bourbier, marais, étang, terrain graveleux, grève,  localement gravier en gascon, (cf. fr. gravière), gravar signifie bourbier, lieu humide fangeux, rive caillouteuse et inondée etc. voir Palay. L"hypothèse de la confusion d'étymon est-elle indispensable? C'est la question. En tout cas, la confusion n'est pas impossible (grava - braga; grau -> brau). 

divendres, 9 de setembre del 2022

Bruyère, buisson et sorcière. De l'étymon proto-celtique *wroyko en gascon.

*Wroyko: bruyère. Gascon: bruc = bruyère; aussi, broish, broisha (buisson) et bruishòc, bruishòt, bruishon, broishon  (buisson). 

Le mot proto-celtique *wroyko a des descendants gascons en ligne directe : celtique *wroyko - (bruyère) > gasc. bròc /brɔk/, broc /bruk/,  bruc /bryk/ (d'où fem. bruga) (id.) etc. Le mot bruc /bruk/ se retrouve en catalan et en aragonais. On voit que la diphtongue a posé un problème de résolution en latin qui n'a pas une telle diphtongue en magasin, ce qui a conduit à différentes solutions phonétiques (voir à ce sujet Coromines, El parlar de la Vall d'Aran, entrée broixa).  On trouve aussi sous une forme affixée, broquèra (a.g. brouquère : amas de broussaille ou lieu de bruyères, selon les endroits <brocaria) , cognat du fr. bruyère (< brucaria).  De même l'étymon de "wroyko", et c'est là que cela devient intéressant, est sans doute le même que celui de  òc brossa (buisson, broussaille), gasc. bruishòc (broussaille, buisson), broisha (buisson), catalan bruix (buisson ), que je suppose dérivé de *wroyko via un intermédiaire affixé  *wroykya (ensemble de buissons, broussaille ?)> broicia ou bruycia-> brossa, broisha. 


Le mot béarnais bruishòc (buisson) et son doublon gascon broishòc (id.)  sont intéressants car ils présentent une "affixe" sous une forme qui n'est pas vraiment du tout usuelle en gascon, ce qui me fait soupsonner qu'elle n'est pas latine ni romane. Elle pourrait remonter au celtique, je pense à  -ākos.  Ces mots bruishòc et broishòc sont singulièrement gascons, on ne les trouve pas en occitan ni ailleurs, à ma connaissance. Elles me font remonter à une forme celtique *wroykyāko-- > *bruyciocu-, *broyciocu-- > bruishòc, broishòc. Sur la dérivation phonétique du suffixe -āko- en -òc en gascon, cf  le mot celtique kalyāko ( fr. coq) dont dérivent en ligne directe le mot gascon calhòc ( fr. coq de mer, goéland)  et ses cognats v.irlandais,  gallois et breton, respectivement cailech, ceiliog et kilhog (coq). Les deux mots wroykyāko et kalyāko ont en commun que la terminaison -āko suit un yod (-yāko), ce qui aurait pour effet de fermer le vocalisme qui suit. 


Le gascon et le catalan partagent le même mot pour dire sorcier-e, broish-a, (a.g. brouch /e) graphié  bruix-a en catalan, la prononciation restant la même. Dans les deux langues, la forme masculine du mot qui veut dire sorcier est identique à celui qui veut dire buisson. En béarnais, le mot broish (brouch) a cessé de désigner le buisson pour ne garder que celui de sorcier, si on en croit le Palay. Par contre, le mot signifie bien buisson en gascon des Landes (dic. Foix).  La signification de broussaille se retrouve toujours dans le lexique béarnais avec les dérivés affixés de broish: broishòt, broishon (fr. buisson), broishagar (brouchagà) et broishaguèr; broishaguèra (brouchaguè, -re): fourré de buissons (Palay). Les linguistes de l'I.E.C., à la suite de Coromines, suggèrent qu'il s'agirait bien d'un même et seul mot qui aurait les deux significations: buisson et sorcier, la sorcière étant appelée (en catalan) bruixa parce qu'elle fréquente  volontiers les buissons (bruixos). Néanmoins, en dehors de l'espace catalano-gascon, l'homonymie n'existe pas. En espagnol et en galaïco-portugais, sorcière se dit respectivement bruja (anciennement bruxa) et bruxa. L'aragonais connait les formes bróixa, brusa et bruja. Les dérivés de *wroyko et *wroykya" avec les sens botaniques qu'on vient de voir sont absents du lexique ibéro-roman. 


Le languedocien aquitano-pyrénéen a un cognat du mot gascon "broish-a" pour dire sorcier-ère qui est "bruèis-bruèissa", ce dernier mot étant inconnu du lexique occitan par ailleurs. "Bruèissa" n'est pas "brossa", les deux mots ne sont pas homonymes.  Mais cette observation n'est pas réellement de nature à invalider l'hypothèse d'un seul mot car Il est possible que bruèissa représente une forme locale de bro(i)ssa et que les deux formes aient pu diffuser et co-éxister, chacune avec sa spécialité sémantique. Dans ce cas, il faut admettre que la signification de "sorcier-sorcière associée au mot qui veut dire normalement buisson  a une origine celtique pour le mot lui-même et aquitano-pyrénéenne pour la signification, c'est le catalan ou/et le gascon qui ont du passer le mot avec le sens de sorcière aux autres langues romanes de la péninsule par voyage ou diffusion (broisha /bruixa -> bruxa). 


L'hypothèse alternative est qu'il s'agit de deux mots d'étymons différents qui se seraient confondus en se croisant en gascon et en catalan. Cette deuxième hypothèse, bien sûr, n'est pas du tout à écarter. Il pourrait s'agir d'une confusion d'étymons, un étymon clairement identifié, gaulois, à l'origine des mots pour bruyère ret buisson et un autre étymon, non identifié, d'une langue également non identifiée, pour signifier sorcier-ère.  Un autre exemple de confusion probable d'étymons avec bruix (sorcière) concerne le mot de météorologie catalane calabruixa var. calabruix qui désigne un type de grêle. Coromines interprète étymologiquement le mot comme "pierre de sorcière" en celtique (en s'inventant au passage un mot celtique *karya) . On retrouve des mots semblables au mot catalan dans les langues italiennes (en particulier gallo-italiques comme le lombard mais pas que) sous diverses formes selon les parlers: calabrozza, calabrosa etc, avec la signification de givre, de mince couche de glace, de pluie glacée mais là, plus question de sorcière, brozza signifie givre, gel, probable cognat avec l'italien broccia (mot florentin) qui signifie petite pluie fine et glacée (Dizionario italiano Olivetti voir).   La relation sémantique avec *wroykya "buisson" n'est pas évidente, pas d'avantage celle avec avec sorcière. L'hypothèse d'un celtisme pour expliquer  le mot toscan "broccia" n'est d'ailleurs guère raisonable, même si l'étymon du mot italien est assez peu claire (voir ).  Le mot catalan calabruix(a) pourrait être une version catalanisée  d'un mot d'origine et de construction italiennes,  comme est de formation italienne son synonyme catalan "calamarsa" (lit. précipitation de mars ? cala pourrait être le mot du lexique italien cala, substantif f. déverbal du v. calare comme l'est calo en substantif m.: descente, chute du haut vers le bas, aussi précipitation au sens météorologique du mot; marsa est  la forme féminine de l'adjectif italien "marso", qui signifie: de mars), ce qui expliquerait l'absence de mots similaires dans les autres langues romanes en dehors des langues d'Italie 




Bref, tout ça pour dire que la question de la relation étymologique entre les dérivés du proto-celtique *wroyko (bruyère, buisson) et le mot gascon pour dire sorcier-sorcière reste ouverte. 

dilluns, 29 d’agost del 2022

Gorça (Lagorce, gorso): une étymologie celtique...mais pas que. Etymologie de galigòrça.

*Gortia (s.) Enclos et, par métonymie, clôture (Delamarre). Ce mot celtique est bien représenté à la fois dans la toponymie hexagonale (y compris en Gironde: Lagorse, l'article suggère que le mot y a été lexical autrefois) et aussi en occitan non-gascon (gorça, gorso) où il a pris le sens de verger (< clos) (c'est bien le sens que le mot a dans la citation que Mistral donne pour l'illustrer,  même s'il ne retient pas cette définition voir TdF,  gorso) . Il a surtout la signification de haie (< clôture). 

Le mot "gorso" existe dans le lexique gascon contemporain, il est pyrénéen et, même si je ne suis pas du tout convaincu qu'il s'agisse du même, je ne peux pas m'empêcher de le mentionner surtout à cause de l'anecdote de la réaction de Coromines à la suggestion de Palay mentionnant Ribagorça comme toponyme pouvant contenir ce mot que Palay imaginait indigène (voir gorso dans Palay). Coromines avait développé une hypothèse totalement latino-romane  pour expliquer le toponyme Ribagorça, justifiée par la forme du toponyme en latin médiéval  (Ripacurtia). Coromines prête à ce mot "curtia" le sens très castillan de "cortado" (coupé) ce qui ne manque pas d'étonner compte-tenu que "cortar" o "curtar"- couper- n'existe pas en aragonais, pas plus qu'en gascon, bénasquais ou en catalan. Ce mot avec cette signification pourrait avoir été employé  autrefois, c'est ce que suggèrait Coromines avec le toponyme ribagorçan, arguments documentés à l'appui. L'argument est acceptable, néanmoins pas certain, il pourrait s'agir d'un castillanisme car le document en question est une traduction d'un texte latin en roman probablement navarais et non aragonais. Admettons que ce ne soit pas un castillanisme.  La question reste si la graphie médiévale représente bien ce mot bien latin "curtia" manifestement éteint  dans nos langues romanes pyrénéennes ou bien si cette graphie.n'est pas une interprétation latinisante d'un mot qui ne le serait pas.

En réaction à l'hypothèse de Palay comme quoi le mot "gorso" pouvait se retrouver dans  le toponyme Ribagorza , Coromines a écrit en substance que le mot gascon gorso (gorça) était une invention arbitraire, que ce mot n'existait pas (El parlar de la Vall d'Aran). Il avait bien sûr tort au moins sur ce dernier point.  Le mot signifie précipice en gascon toy (Dic. Palay, Dic. Massoure). Il semble que ce même mot soit associé à canalis (canau et  gau en gascon ) sous la forme galigòrça (a.g. galigorse, galigorso) qui a cette même signification de précipice. Sous cette forme de galigorça, le mot est bien répandu dans le domaine gascon.  Par analogie avec l'étymologie proposée par Coromines  pour Ribagorça , on pourrait proposer pour galigorça  "canale curtia",  étymologiquement  gorge "tailladée" , gorge "découpée": précipice. Un synonyme de gorça et galigorça est "galiherna". Là, le sens est très clair pour moi: galiherna < canale inferna,  gorge "abyssale" (très profonde) donc précipice.  Le mot pyrénéen "gorça" viendrait donc du latin "curtia": tailladée. Cette hypothèse suppose que ce mot était bien employé dans les Pyrénées des deux côtés avant de disparaitre du lexique de nos langues. C'est ce que pensait Coromines pour le domaine linguistique aragonais, on pourrait alors y ajouter le domaine gascon qui lui est de fait assez proche. 

Reste évidemment la possibiité que le mot gorça puisse être un mot d'origine indigène, non-indoeuropéen, bien sûr. En toponymie basque, il y a en Navarre le toponyme  'Gorza' qui rappelle furieusement notre gorsa /gorso. En roman, le toponyme qui en dérive est Guesa, la réduction -rs- en -s- étant normale sur le modèle ursu--> oso. En gascon, la même réduction est attendue  (ursu -> o(r)s a.g. ous. L'étymologie du toponyme basque est loin d'être claire, il pourrait s'expliquer en le décomposant en gor (mot douteux, peut-être de l'adjectif gogor qui veut dire dur, cruel, sans pitié  et le suffixe fréquentatif ou locatif tz(a) qui se réduit à za derrière -r-. Même si le roman gorça ne doit pas dériver du mot basque gorza à cause de la conservation du -rs-, on peut tout imaginer, en particulier un mot indigène X illégitimement latinisé en curtia (Ripacurtia) qui aurait le sens de précipice  et dont dériverait directement le mot gascon. Cette hypothèse est plausible même si elle est très téméraire.  Téméraire, l'hypothèse latine l''est également de par le fait qu'il n'y a pas réellement d'attestation de  "curtia" o de cortar (couper) dans les lexiques génétiques aragonais et gascon.  Mais le mot a pu y être employé et s'éteindre presque complètement, ne laissant que gorça, galigorça et le toponyme Ribagorça comme traces. Après tout, iherna avec le sens latin de inferna  (profond, abyssal) n'existe pas davantage dans la langue moderne mais la dérivation latine, là, est très claire. Donc, pourquoi pas "curtia". En revanche, l 'hypothèse celtique pause une invraisemblance sémantique qui la rend non crédible dans le cas pyrenéen.  

Je ne suis donc pas du tout convaincu de la pertinence de cet étymon celtique pour expliquer le mot pyrénéen. Mais le mot celtique  doit bien être l'étymon du toponyme girondin Lagorce (le clos, l'enclos ou la clôture), visiblement affublé d'un article donc probablement lexical autrefois mais il semble que le mot soit éteint  (qu'on n'hésite pas à me contredire le cas échéant).  


diumenge, 21 d’agost del 2022

Étymologie du mot "tornade" : l'hypothèse gasconne.

Mon intérêt pour le gascon de la côte basque m'amène à re-éditer un texte en français que j'avais déjà publié en 2018, la version en gascon remontant à 2017.  Je l'ai un peu modifié. 

L'hypothèse étymologique qui veut faire dériver le mot anglais 'tornado'  de l’espagnol 'tronada' me  pose plusieurs problèmes. D'abord, une question phonétique. Pourquoi un mot anglais terminant par "o" (tornado) dériverait-il  d' un mot espagnol se terminant par 'a' (tronada) ??? Les Anglais ne distinguent-ils pas parfaitement phonétiquement le "o" de San Francisco du "a" de Santa Mónica? On ne voit pas pourquoi ils auraient muté le "a "de tronada en "o".  Ensuite, la sémantique: les coups de tonnerre ( tronada), ce n’est pas trop ce qui caractérise la tornade. Enfin et surtout, cette hypothèse ignore l'existence en gascon du verbe tornar, dont le participe passé est tornat - tornada et elle ignore aussi complètement le fait que le substantif tornada (s.f.) fait partie du lexique génétique du gascon. Gascons et Basques  ont une longue tradition de marins, pas seulement de pêcheurs, mais aussi de mercenaires, pirates, flibustiers et boucanniers qui les ont amenés à écumer les mers du Nord et du Sud. Sur les exploits des corsaires bayonnais dans les mers du sud, lire "les Corsaires Bayonnais" par  Édouard Lamaignère (1805-1861), consultable en ligne . Et lisez ou relisez l'ouvrage de Pierre Rectoran consacré à ce sujet (Corsaires basques et bayonnais du XVe au XIXe siècle. Ed. E. Plumon, Bayonne, 1946).  

 De nos jours, le o fermé latin est prononcé ou (/u/) en gascon., même quand il se trouve en position tonique. On sait que ce n’était pas le cas autrefois entre autres grâce à la graphie des psaumes en rimes béarnaises de Salette, qui présente les trois degrés d'ouverture du "o" comme en catalan. Cette manière de prononcer le "o" fermé tonique /u/ est moderne. Et encore, dans les contes landais d' Arnaudin, on trouve encore le mot "amor" graphié "amo" (par exemple: "per l'amo de Diou"), ce qui montre que cette mutation n'était pas achevée partout au 19ème siècle. L'expression "pr'amoû" (en graphie alibertine: pr'amor) des Béarnais est d'ailleurs prononcée "pr'amoung" (Alibertin: pr'amon) par les Landais, ce qui montre qu'ils n'avaient pas su faire la relation avec leur mot "amor", qu'ils continuaient de prononcer /a'mo/ ou /ǝ'mo/ .   Mais quid du "o" prétonique ? A-t-il toujours été prononcé /u/ ? Cette question, je me la pose en comparant le mot du gascon contemporain "tournade" avec l’espagnol "tornado" et l' anglais "tornathe" (au 17ème). La question se pose à nouveau quand on considère certains éléments de l’onomastiqu de cette région du gascon occidental: on a, par exemple, le nom de famille gascon Torné (du gascon tornèr) ou bien le nom de la ville d' Orthez, soit Ortès en gascon qui est bien prononcé ortès et non pas ourtès, y compris en gascon. Tout se passe comme si la phonétique avait été fossilisée. Et cette manière de prononcer le o prétonique n’a pas complètement disparu partout. En particulier à Bayonne, le mot "la yumpòle" (la balançoire) s’accompagne du verbe "yumpolà" (prononcé ainsi selon le dictionnaire Foix. Le mot n'est pas dans Palay). Et ça ne gène pas du tout le poète bayonnais Justin Larrebat (1816-1868) d’écrire dans ses vers gascons "oradye" "bordat" et non "ouradye" , "bourdat". Gallicismes? Pour le choix de ces mots, sans doute, mais ça n'explique pas tout car, comme l'a bien noté H. Gavel,  Larrebat écrit aussi "trobat" et non pas "troubat" (en français: trouvé) et là, ce n'est plus du tout un gallicisme...C'est une manière de prononcer qui, visiblement, ne doit rien au français.  Et dans la chanson de Noël "Aitona Ixidro Elusu" en parler gascon de Pasai- Passajes (Guipuskoa), on peut lire (en graphie espagnole): " le niño ploraue (sic)" (et non pas "pluraue", comme l'exigerait la phonétique de la langue moderne). Il est donc très possible que "tornada" (en graphie alibertine) ait été en fait bien prononcé "tornade" autrefois, en gascon de la Côte Basque. Cette manière de prononcer le "o" prétonique de "tornada" (en graphie alibertine) comme un "o" et non "ou" /u/ pourrait être un archaisme (on la retrouve avec le toponyme Orthez, gasc. Ortès) et/ou  une prononciation locale en accord avec les mots basque (tornu) et espagnol (torno), qui partagent l'étymon avec le mot gascon "tornada".  

L’anglais a visiblement hésité entre les formes en -athe , tornathe e turnathe qu'on trouve au 17ème siècle, et les formes en -ado: tornado (17ème), var. ternado (16eme), c’est à dire entre une prononciation reflétant typiquement celle du gascon de la Côte Basque et une autre qui serait son adaptation en castillan. Le mot basco-gascon (le) *tornade  (s.f.) a pu être adopté en espagnol sous la forme (el) tornado. Ce changement de genre du féminin vers le masculin qui résulte du passage d'un mot gascon du Bas-Adour ou de la côte basque en  castillan  est assez habituel et attendu.  Il est induit par une combinaison de deux facteurs: 1- la forme de l'article défini féminin est "le" et non pas "la" dans cette variété de gascon. Il peut induire un hispanophone en erreur sur le genre du substantif, à cause du français "le". Cet article défini 'le', strictement feminin à l'origine, a d'ailleurs fini par devenir épicène en gascon du Guipuscoa au début du 20ème siècle. L'article défini y avait la forme "le" tant au masculin qu'au féminin, selon l'enquête de Múgica  (S. Múgica: Los Gascones en Guipúscoa, 1923), point confirmé par le texte du Noël de Pasajes  "Aitona Ixidro Elusu" ( le niño ploraue). Le deuxième facteur est la terminaison phonétiquement "neutre" de ces mots en gascon, la terminaison en elle-même ne peut pas indiquer le genre du mot. Prenons comme autre cas, le mot gallo "marache" (s.f.,sorte de squale, romanisation du breton "morc'hast") devenu en gascon  marrache (s.f) (sorte de squale) , on observe le même changement de genre avec l'emprunt castillan gsc. (le) marrache (s.f.) - > cast..  (el) marrajo (s.m., via la forme plus ancienne marraxo) (squale). On a aussi, de la même manière,  "le galerne (s.f., vent du nord)" -> "el galerno" (s.m.) et peut-être aussi "le berle" (s.f, sorte de  cresson, gaulois berula) - > "el berro" (s.m. id.). En gascon contemporain, le mot "tornada" (prononcé  tournade) signifie "volée" (dans le sens de châtiment, correction), on comprend qu’il ait pu être utilisé pour désigner le phénomène météorologique même si cette signification spécialisée n'est pas relevée dans Palay. Hélas, il nous manque un corpus des termes maritimes gascons de Bayonne et de la Côte Basque (Labourd et Guipuscoa) . 

Le professeur d'occitan D. Sumien a recommandé d’adopter "lo tornado" (s.m.) en occitan au lieu de "la tornada" (s.f.) qu’il juge trop influencée par le français "tornade", voir , Je pense qu'il a tort, cette fois encore.  C'est bien l'inverse qui est vrai, c'est le mot français "tornade" qui vient du gascon. On ne voit pas bien pourquoi l'espagnol "el tornado" aurait donné "la tornade" en français et non pas le tornado alors qu'on a bien en français  le desperado, l'aficionado, l'eldorado, le fado, le cruzado... Il est bien plus probable que le mot français "tornade" vienne du parler des Bayonnais eux-mêmes qui  parlaient français en plus de leur gascon et en gascon le mot "tornada" (prononcé tornade ou tournade) est bien féminin.  Il n’y a évidemment pas lieu d’incorporer la forme espagnole et anglaise d’un mot gascon en gascon. La forme gasconne est la bonne et c'est, en gascon contemporain,  tournade (graphie IBG) ou tornada (graphie alibertine) . 

dimecres, 20 de juliol del 2022

Cachalot, l'étymon est le mot gascon caishau (fr. molaire, grosse dent) via son dérivé affixé caishalut (pourvu de grosses dents, dentu) (1628).

Message inspiré par le visionnage du film "au coeur de l'océan" qui relate l'histoire de Moby Dick. 

Le mot "cachalot" dérive d'une forme plus ancienne "cachalut" par simple changement d'affixe. Ce mot "cachalut" est évidemment gascon à 100 %, même si aucun linguiste ne semble s'en être rendu compte, pas plus chez les occitanistes que chez les autres. Il est assez significatif que D. Sumien, dans un article  sur ce sujet, passe sous silence cette forme "cachalut" pourtant signalée explicitement dans la propre référence qu'il donne lui-même  dans son article:  DAG12 1528. Visiblement, il n'a pas compris le mot, pourtant bien gascon. "Cachalut"  est bien  la forme la plus ancienne de notre mot,  attestée dès 1628 à Saint-Jean de Luz pour y désigner l'animal en question, voir à "cachalot" dans le CNTRL, voir aussi dans le DAG 12  1528. "Cachalut" signifie "qui a des grosses dents, dentu". Le mot est formé par affixation de caishau ( ou "cachau" selon le système graphique employé , "ish" se prononce comme "ch"). Caishau (cachau) désigne une molaire et plus généralement une grosse dent (cf. le dic. de Palay ou votre dic. de gascon habituel). La formation du mot "caishalut" (fr. "dentu", "pourvu de grosses dents") à partir de "caishau" est parfaitement régulière et est comparable à celle qui a conduit à "dentut" à partir de "dent" (cf. fr. "dentu"), de "testut" à partir de tèsta (fr. têtu), "barbut" à partir de "barba" (fr. barbu), de "pelut" à partir de "pèu (fr. poilu)" etc, etc. Cette dérivation par affixation en gascon est donc bien équivalente à celle , en français, qui a conduit aux mots dentu, têtu, lippu, barbu, poilu, etc. 

Pourquoi "caishalut" (lit. "pourvu de grosses dents") ? Parce que ce qui différencie le cachalot des baleines "vraies", c'est la présence de grosses dents. Le cachalot a des dents alors que les baleines n'en ont pas vraiment, elles ont des fanons. 

Alors pourquoi "cachalot" a-t-il remplacé "cachalut", et ce, déjà à la fin du 17ème siècle à Saint-Jean-de-Luz  (cachalot y est attesté en 1694, voir à "cachalot" dans le CNTRL)? Probablement parce que l'affixe -òt est beaucoup plus courant et productif que l'affixe -ut en gascon. De plus, cet affixe -òt présente l'avantage d'exister en espagnol et en euskara sous la forme "-ote" . Le "u" gascon se prononce comme le "u" français /y/. Ce phonème n'existe pas en espagnol ni en basque (soulétain mis à part), il est donc imprononçable pour un Espagnol (sauf pour les gasconophones du Guipuscoa d'autrefois et ceux du Val d'Aran, encore aujourd'hui). Les deux langues (gascon et basque) ont longtemps co-existé sur la côte basque, dans sa partie la plus orientale. Ce n'est qu'au début du 20ème siècle que le gascon s'est éteint en Guipuscoa. Il s'est éteint plus tôt à Saint-Jean- de-Luz, mais la toponymie locale en garde des traces nettes, par exemple Saint-Pée sur Nivelle dont la forme basque du toponyme (Senpere) n'est rien d'autre qu'une adaptation basque du toponyme original qui était gascon (Sent Pèr correspondant à Saint Pierre en français, ce serait Don Petri ou Don Petiri en basque), ce qui indique que c'est la forme gascone du toponyme qui est à l'origine de la forme basque (comme de la française) et non l'inverse . On peut citer également cet autre toponyme gascon porté par un faubourg de Saint-Jean-de-Luz : Serres etc. Serres est attesté comme domaine du vicomte de Labourd dès le XIème siècle et St-Pée dès le 12ème.  Le fait que le chasseur de baleine de Saint-Jean-de-Luz ait utilisé un mot gascon pour désigner sa prise suggère que le gascon y était parlé au 17ème siècle, comme à Bayonne, Anglet et Biarritz mais aussi à Saint Sébastien, Fontarrabie et Pasai (Passajes) . Cette suggestion est renforcée par l'allure des prénoms des "députés" (comprendre: représentants) du Labourd (hors Bayonne qui avait ses propres députés) chargés de négocier les traités de bon voisinage avec les Basques espagnols au 17ème siècle, ces prénoms sont bien gascons (voir ). La transcription phonétique utilisée dans ces traités permet de confirmer que ce gascon de la côte basque était bien du type "neugue" ("gascon noir", appelé ainsi à cause de la phonétique particulière qui caractérise ce groupe de parlers gascons). Je pense au titre de ce député de Saint-Jean de Luz , à l'évidence un ecclésiastique : "Mouchon Menjougou"  (Mouchon = Monseigneur,  /mu'ʃœn/ en gascon local), soit Mossen Menjogo en graphie alibertine. Menjogo est une forme diminutive "basco-gasconne" du prénom gascon Menjon (prononcer Men'joung) -soit Dominique en français, - affublé du diminutif affectif basque -ko sous sa forme romanisée -go. Enfin, rappelons le sobriquet dont les Luziens  affublent traditionellement leurs voisins  de Ciboure, cascarot. Ce mot est  tout-à-fait gascon. Le sens premier de ce mot est "grelot" mais, appliqué à une personne, il veut dire bavard, bonimenteur (cf. dic. Palay). Peut-être par confusion d'étymon avec le mot gascon "cascant" qui signifie sale, le mot servait à désigner un bohémien, un va-nu-pied, typiquement à Ciboure et à Saint Jean de Luz. A Bayonne et Biarritz,  sous une forme féminine (cascaròta), ce mot désignait populairement une marchande de poisson. 

L'hypothèse étymologique la plus répandue, contre laquelle je m'inscris en faux, veut faire dériver notre  mot "cachalot" du portugais "cachalote", l'étymon serait le mot populaire portugais "cachola" qui signifie "caboche". Cette hypothèse , émise par l'excellentissime et regretté Coromines, est plus qu'invraisemblable et doit être rejetée. Le mot "cachalote" n'est pas attesté en portugais avant 1855, alors que le mot "cachalut", qui signifie "pourvu de dents" en gascon, l'est déjà en parler de Saint-Jean de Luz dès 1628 pour désigner notre animal. A l'évidence, les Portugais ont emprunté le mot, probablement à l'espagnol. En espagnol, le mot "cachalote" n'est pas attesté avant 1794, plus d'un siècle après l'attestation luzienne . L'étymon de cachalot est bien le mot gascon "cachau" ("grosse dent"), via le dérivé affixé "cachalut" ("pourvu de grosses dents, dentu") (1628) d'où dérive cachalot (1694 ) par changement d'affixe. L'explication gasconne permet de retracer simplement l'évolution du mot sans avoir recours à l'invention de formes imaginaires non attestées, contrairement à l'hypothèse portugaise qui suppose un "*cacholote" fantaisiste. En fait, Coromines ignorait que la forme primitive du mot était "cachalut". L'eut-il-su, il aurait probablement compris son étymologie. C'est évidemment "cachalut" qui est à l'origine de "cachalot" et ce dernier à l'origine de la forme ibérique "cachalote" et non l'inverse. 

dimarts, 21 de juny del 2022

Horuc, horucar (en français).

 De retour des confins du Couserans, à Horuc, lieu-dit de la commune de Cerizols, je vous livre ce petit message consacré à ce mot typiquement gascon "horuc" (message déjà publié sur facebook il y a quelques jours). En gascon, le sens premier de "horuc" (s. m.) est "creux", "cavité", "trou". L'étymon est le latin "fŏro-āre" (creuser, forer). En gascon, à partir du verbe régulier "f/horar" dérive "f/horucar" probablement via l'affixation d'un substantif roman dérivé de "f/horar" : *f/horu-a (cf. esp. hura s.f: trou; ast. furu, s.m. : id). Ainsi *f/hor(u)-a- > f/horuc (s.f.); f/horuca (s.m.) (id.). La forme verbale gasconne "horucar" (originellement: fr. creuser, faire un trou) a l'avantage de permettre d'éviter la confusion du verbe "f/horar" avec l'autre verbe gascon homonyme "f/horar" soit en fr. le verbe "fouler dont ce deuxième verbe gascon "horar" est cognat (du latin fullo-are ). De même, le gascon pourrait peut-être être à l'origine de la forme "f/horadar" qui, en gascon, tend à remplacer "horar" (creuser). Bien que cette forme aberrante "f/horadar" (reconstruite à parir du substantif f/horado ou f/horat, selon la langue impliquée) se retrouve dans toutes les langues romanes de la péninsule, il me semble que l'invention de cette forme pour remplacer "f/horar" ne fait sens qu'en gascon où elle joue le même rôle de désambigüation vis-à-vis de l'autre verbe gascon "horar" (du lat. fullare, fr. fouler), tout en évitant en plus la confusion sémantique qui a fini par caractériser la forme "horucar" ayant pris le sens de "fouiller" par confusion avec "hurgar". Du gascon, le verbe "f/horadar" aurait pu voyager de proche en proche dans les parlers romans de la péninsule. 

Revenons à "horucar", ce verbe signifie donc creuser, faire un trou (c'est le sens premier) mais aussi, et plus couramment en gascon contemporain, "fouiller", cette dérive sémantique s'explique par influx du verbe phonétiquement proche "hurgar" (fouiller). Le mot gascon "horuc" (creux, trou) se retrouve en catalan nord-occidental, sous la forme féminine "foruca" avec la signification de cavité dans la roche, abri sous roche, sorte de grotte (D.C.V.B). De même en aragonais, "foricar" signifie creuser et "foricón" et "foricacho" (avec affixes augmentatifs qui renvoient à *forico ou *forica, elle-même forme diminutive de *foro-a) désignent un trou dans la roche, une cavité, une grotte. Il me semble possible, voire probable, que le mot espagnol "horaco" (trou, cavité) soit cognat, si non une adaptation, du mot (proto-)gascon "horuc(u)", avec une mutation vocalique induite par son synonyme "horado" : *horuco x horado -> horaco. Enfin la forme "buraco" serait, selon moi, une adaptation portugaise de l'espagnol "horaco", port. o "*(h)oraco" -> o buraco), cette dernière forme étant elle-même adoptée en retour par des parlers d'Espagne.