dilluns, 29 d’agost del 2022

Gorça (Lagorce, gorso): une étymologie celtique...mais pas que. Etymologie de galigòrça.

*Gortia (s.) Enclos et, par métonymie, clôture (Delamarre). Ce mot celtique est bien représenté à la fois dans la toponymie hexagonale (y compris en Gironde: Lagorse, l'article suggère que le mot y a été lexical autrefois) et aussi en occitan non-gascon (gorça, gorso) où il a pris le sens de verger (< clos) (c'est bien le sens que le mot a dans la citation que Mistral donne pour l'illustrer,  même s'il ne retient pas cette définition voir TdF,  gorso) . Il a surtout la signification de haie (< clôture). 

Le mot "gorso" existe dans le lexique gascon contemporain, il est pyrénéen et, même si je ne suis pas du tout convaincu qu'il s'agisse du même, je ne peux pas m'empêcher de le mentionner surtout à cause de l'anecdote de la réaction de Coromines à la suggestion de Palay mentionnant Ribagorça comme toponyme pouvant contenir ce mot que Palay imaginait indigène (voir gorso dans Palay). Coromines avait développé une hypothèse totalement latino-romane  pour expliquer le toponyme Ribagorça, justifiée par la forme du toponyme en latin médiéval  (Ripacurtia). Coromines prête à ce mot "curtia" le sens très castillan de "cortado" (coupé) ce qui ne manque pas d'étonner compte-tenu que "cortar" o "curtar"- couper- n'existe pas en aragonais, pas plus qu'en gascon, bénasquais ou en catalan. Ce mot avec cette signification pourrait avoir été employé  autrefois, c'est ce que suggèrait Coromines avec le toponyme ribagorçan, arguments documentés à l'appui. L'argument est acceptable, néanmoins pas certain, il pourrait s'agir d'un castillanisme car le document en question est une traduction d'un texte latin en roman probablement navarais et non aragonais. Admettons que ce ne soit pas un castillanisme.  La question reste si la graphie médiévale représente bien ce mot bien latin "curtia" manifestement éteint  dans nos langues romanes pyrénéennes ou bien si cette graphie.n'est pas une interprétation latinisante d'un mot qui ne le serait pas.

En réaction à l'hypothèse de Palay comme quoi le mot "gorso" pouvait se retrouver dans  le toponyme Ribagorza , Coromines a écrit en substance que le mot gascon gorso (gorça) était une invention arbitraire, que ce mot n'existait pas (El parlar de la Vall d'Aran). Il avait bien sûr tort au moins sur ce dernier point.  Le mot signifie précipice en gascon toy (Dic. Palay, Dic. Massoure). Il semble que ce même mot soit associé à canalis (canau et  gau en gascon ) sous la forme galigòrça (a.g. galigorse, galigorso) qui a cette même signification de précipice. Sous cette forme de galigorça, le mot est bien répandu dans le domaine gascon.  Par analogie avec l'étymologie proposée par Coromines  pour Ribagorça , on pourrait proposer pour galigorça  "canale curtia",  étymologiquement  gorge "tailladée" , gorge "découpée": précipice. Un synonyme de gorça et galigorça est "galiherna". Là, le sens est très clair pour moi: galiherna < canale inferna,  gorge "abyssale" (très profonde) donc précipice.  Le mot pyrénéen "gorça" viendrait donc du latin "curtia": tailladée. Cette hypothèse suppose que ce mot était bien employé dans les Pyrénées des deux côtés avant de disparaitre du lexique de nos langues. C'est ce que pensait Coromines pour le domaine linguistique aragonais, on pourrait alors y ajouter le domaine gascon qui lui est de fait assez proche. 

Reste évidemment la possibiité que le mot gorça puisse être un mot d'origine indigène, non-indoeuropéen, bien sûr. En toponymie basque, il y a en Navarre le toponyme  'Gorza' qui rappelle furieusement notre gorsa /gorso. En roman, le toponyme qui en dérive est Guesa, la réduction -rs- en -s- étant normale sur le modèle ursu--> oso. En gascon, la même réduction est attendue  (ursu -> o(r)s a.g. ous. L'étymologie du toponyme basque est loin d'être claire, il pourrait s'expliquer en le décomposant en gor (mot douteux, peut-être de l'adjectif gogor qui veut dire dur, cruel, sans pitié  et le suffixe fréquentatif ou locatif tz(a) qui se réduit à za derrière -r-. Même si le roman gorça ne doit pas dériver du mot basque gorza à cause de la conservation du -rs-, on peut tout imaginer, en particulier un mot indigène X illégitimement latinisé en curtia (Ripacurtia) qui aurait le sens de précipice  et dont dériverait directement le mot gascon. Cette hypothèse est plausible même si elle est très téméraire.  Téméraire, l'hypothèse latine l''est également de par le fait qu'il n'y a pas réellement d'attestation de  "curtia" o de cortar (couper) dans les lexiques génétiques aragonais et gascon.  Mais le mot a pu y être employé et s'éteindre presque complètement, ne laissant que gorça, galigorça et le toponyme Ribagorça comme traces. Après tout, iherna avec le sens latin de inferna  (profond, abyssal) n'existe pas davantage dans la langue moderne mais la dérivation latine, là, est très claire. Donc, pourquoi pas "curtia". En revanche, l 'hypothèse celtique pause une invraisemblance sémantique qui la rend non crédible dans le cas pyrenéen.  

Je ne suis donc pas du tout convaincu de la pertinence de cet étymon celtique pour expliquer le mot pyrénéen. Mais le mot celtique  doit bien être l'étymon du toponyme girondin Lagorce (le clos, l'enclos ou la clôture), visiblement affublé d'un article donc probablement lexical autrefois mais il semble que le mot soit éteint  (qu'on n'hésite pas à me contredire le cas échéant).  


diumenge, 21 d’agost del 2022

Étymologie du mot "tornade" : l'hypothèse gasconne.

Mon intérêt pour le gascon de la côte basque m'amène à re-éditer un texte en français que j'avais déjà publié en 2018, la version en gascon remontant à 2017.  Je l'ai un peu modifié. 

L'hypothèse étymologique qui veut faire dériver le mot anglais 'tornado'  de l’espagnol 'tronada' me  pose plusieurs problèmes. D'abord, une question phonétique. Pourquoi un mot anglais terminant par "o" (tornado) dériverait-il  d' un mot espagnol se terminant par 'a' (tronada) ??? Les Anglais ne distinguent-ils pas parfaitement phonétiquement le "o" de San Francisco du "a" de Santa Mónica? On ne voit pas pourquoi ils auraient muté le "a "de tronada en "o".  Ensuite, la sémantique: les coups de tonnerre ( tronada), ce n’est pas trop ce qui caractérise la tornade. Enfin et surtout, cette hypothèse ignore l'existence en gascon du verbe tornar, dont le participe passé est tornat - tornada et elle ignore aussi complètement le fait que le substantif tornada (s.f.) fait partie du lexique génétique du gascon. Gascons et Basques  ont une longue tradition de marins, pas seulement de pêcheurs, mais aussi de mercenaires, pirates, flibustiers et boucanniers qui les ont amenés à écumer les mers du Nord et du Sud. Sur les exploits des corsaires bayonnais dans les mers du sud, lire "les Corsaires Bayonnais" par  Édouard Lamaignère (1805-1861), consultable en ligne . Et lisez ou relisez l'ouvrage de Pierre Rectoran consacré à ce sujet (Corsaires basques et bayonnais du XVe au XIXe siècle. Ed. E. Plumon, Bayonne, 1946).  

 De nos jours, le o fermé latin est prononcé ou (/u/) en gascon., même quand il se trouve en position tonique. On sait que ce n’était pas le cas autrefois entre autres grâce à la graphie des psaumes en rimes béarnaises de Salette, qui présente les trois degrés d'ouverture du "o" comme en catalan. Cette manière de prononcer le "o" fermé tonique /u/ est moderne. Et encore, dans les contes landais d' Arnaudin, on trouve encore le mot "amor" graphié "amo" (par exemple: "per l'amo de Diou"), ce qui montre que cette mutation n'était pas achevée partout au 19ème siècle. L'expression "pr'amoû" (en graphie alibertine: pr'amor) des Béarnais est d'ailleurs prononcée "pr'amoung" (Alibertin: pr'amon) par les Landais, ce qui montre qu'ils n'avaient pas su faire la relation avec leur mot "amor", qu'ils continuaient de prononcer /a'mo/ ou /ǝ'mo/ .   Mais quid du "o" prétonique ? A-t-il toujours été prononcé /u/ ? Cette question, je me la pose en comparant le mot du gascon contemporain "tournade" avec l’espagnol "tornado" et l' anglais "tornathe" (au 17ème). La question se pose à nouveau quand on considère certains éléments de l’onomastiqu de cette région du gascon occidental: on a, par exemple, le nom de famille gascon Torné (du gascon tornèr) ou bien le nom de la ville d' Orthez, soit Ortès en gascon qui est bien prononcé ortès et non pas ourtès, y compris en gascon. Tout se passe comme si la phonétique avait été fossilisée. Et cette manière de prononcer le o prétonique n’a pas complètement disparu partout. En particulier à Bayonne, le mot "la yumpòle" (la balançoire) s’accompagne du verbe "yumpolà" (prononcé ainsi selon le dictionnaire Foix. Le mot n'est pas dans Palay). Et ça ne gène pas du tout le poète bayonnais Justin Larrebat (1816-1868) d’écrire dans ses vers gascons "oradye" "bordat" et non "ouradye" , "bourdat". Gallicismes? Pour le choix de ces mots, sans doute, mais ça n'explique pas tout car, comme l'a bien noté H. Gavel,  Larrebat écrit aussi "trobat" et non pas "troubat" (en français: trouvé) et là, ce n'est plus du tout un gallicisme...C'est une manière de prononcer qui, visiblement, ne doit rien au français.  Et dans la chanson de Noël "Aitona Ixidro Elusu" en parler gascon de Pasai- Passajes (Guipuskoa), on peut lire (en graphie espagnole): " le niño ploraue (sic)" (et non pas "pluraue", comme l'exigerait la phonétique de la langue moderne). Il est donc très possible que "tornada" (en graphie alibertine) ait été en fait bien prononcé "tornade" autrefois, en gascon de la Côte Basque. Cette manière de prononcer le "o" prétonique de "tornada" (en graphie alibertine) comme un "o" et non "ou" /u/ pourrait être un archaisme (on la retrouve avec le toponyme Orthez, gasc. Ortès) et/ou  une prononciation locale en accord avec les mots basque (tornu) et espagnol (torno), qui partagent l'étymon avec le mot gascon "tornada".  

L’anglais a visiblement hésité entre les formes en -athe , tornathe e turnathe qu'on trouve au 17ème siècle, et les formes en -ado: tornado (17ème), var. ternado (16eme), c’est à dire entre une prononciation reflétant typiquement celle du gascon de la Côte Basque et une autre qui serait son adaptation en castillan. Le mot basco-gascon (le) *tornade  (s.f.) a pu être adopté en espagnol sous la forme (el) tornado. Ce changement de genre du féminin vers le masculin qui résulte du passage d'un mot gascon du Bas-Adour ou de la côte basque en  castillan  est assez habituel et attendu.  Il est induit par une combinaison de deux facteurs: 1- la forme de l'article défini féminin est "le" et non pas "la" dans cette variété de gascon. Il peut induire un hispanophone en erreur sur le genre du substantif, à cause du français "le". Cet article défini 'le', strictement feminin à l'origine, a d'ailleurs fini par devenir épicène en gascon du Guipuscoa au début du 20ème siècle. L'article défini y avait la forme "le" tant au masculin qu'au féminin, selon l'enquête de Múgica  (S. Múgica: Los Gascones en Guipúscoa, 1923), point confirmé par le texte du Noël de Pasajes  "Aitona Ixidro Elusu" ( le niño ploraue). Le deuxième facteur est la terminaison phonétiquement "neutre" de ces mots en gascon, la terminaison en elle-même ne peut pas indiquer le genre du mot. Prenons comme autre cas, le mot gallo "marache" (s.f.,sorte de squale, romanisation du breton "morc'hast") devenu en gascon  marrache (s.f) (sorte de squale) , on observe le même changement de genre avec l'emprunt castillan gsc. (le) marrache (s.f.) - > cast..  (el) marrajo (s.m., via la forme plus ancienne marraxo) (squale). On a aussi, de la même manière,  "le galerne (s.f., vent du nord)" -> "el galerno" (s.m.) et peut-être aussi "le berle" (s.f, sorte de  cresson, gaulois berula) - > "el berro" (s.m. id.). En gascon contemporain, le mot "tornada" (prononcé  tournade) signifie "volée" (dans le sens de châtiment, correction), on comprend qu’il ait pu être utilisé pour désigner le phénomène météorologique même si cette signification spécialisée n'est pas relevée dans Palay. Hélas, il nous manque un corpus des termes maritimes gascons de Bayonne et de la Côte Basque (Labourd et Guipuscoa) . 

Le professeur d'occitan D. Sumien a recommandé d’adopter "lo tornado" (s.m.) en occitan au lieu de "la tornada" (s.f.) qu’il juge trop influencée par le français "tornade", voir , Je pense qu'il a tort, cette fois encore.  C'est bien l'inverse qui est vrai, c'est le mot français "tornade" qui vient du gascon. On ne voit pas bien pourquoi l'espagnol "el tornado" aurait donné "la tornade" en français et non pas le tornado alors qu'on a bien en français  le desperado, l'aficionado, l'eldorado, le fado, le cruzado... Il est bien plus probable que le mot français "tornade" vienne du parler des Bayonnais eux-mêmes qui  parlaient français en plus de leur gascon et en gascon le mot "tornada" (prononcé tornade ou tournade) est bien féminin.  Il n’y a évidemment pas lieu d’incorporer la forme espagnole et anglaise d’un mot gascon en gascon. La forme gasconne est la bonne et c'est, en gascon contemporain,  tournade (graphie IBG) ou tornada (graphie alibertine) .