Message inspiré par le visionnage du film "au coeur de l'océan" qui relate l'histoire de Moby Dick.
Le mot "cachalot" dérive d'une forme plus ancienne "cachalut" par simple changement d'affixe. Ce mot "cachalut" est évidemment gascon à 100 %, même si aucun linguiste ne semble s'en être rendu compte, pas plus chez les occitanistes que chez les autres. Il est assez significatif que D. Sumien, dans un article sur ce sujet, passe sous silence cette forme "cachalut" pourtant signalée explicitement dans la propre référence qu'il donne lui-même dans son article: DAG12 1528. Visiblement, il n'a pas compris le mot, pourtant bien gascon. "Cachalut" est bien la forme la plus ancienne de notre mot, attestée dès 1628 à Saint-Jean de Luz pour y désigner l'animal en question, voir à "cachalot" dans le CNTRL, voir aussi dans le DAG 12 1528. "Cachalut" signifie "qui a des grosses dents, dentu". Le mot est formé par affixation de caishau ( ou "cachau" selon le système graphique employé , "ish" se prononce comme "ch"). Caishau (cachau) désigne une molaire et plus généralement une grosse dent (cf. le dic. de Palay ou votre dic. de gascon habituel). La formation du mot "caishalut" (fr. "dentu", "pourvu de grosses dents") à partir de "caishau" est parfaitement régulière et est comparable à celle qui a conduit à "dentut" à partir de "dent" (cf. fr. "dentu"), de "testut" à partir de tèsta (fr. têtu), "barbut" à partir de "barba" (fr. barbu), de "pelut" à partir de "pèu (fr. poilu)" etc, etc. Cette dérivation par affixation en gascon est donc bien équivalente à celle , en français, qui a conduit aux mots dentu, têtu, lippu, barbu, poilu, etc.
Pourquoi "caishalut" (lit. "pourvu de grosses dents") ? Parce que ce qui différencie le cachalot des baleines "vraies", c'est la présence de grosses dents. Le cachalot a des dents alors que les baleines n'en ont pas vraiment, elles ont des fanons.
Alors pourquoi "cachalot" a-t-il remplacé "cachalut", et ce, déjà à la fin du 17ème siècle à Saint-Jean-de-Luz (cachalot y est attesté en 1694, voir à "cachalot" dans le CNTRL)? Probablement parce que l'affixe -òt est beaucoup plus courant et productif que l'affixe -ut en gascon. De plus, cet affixe -òt présente l'avantage d'exister en espagnol et en euskara sous la forme "-ote" . Le "u" gascon se prononce comme le "u" français /y/. Ce phonème n'existe pas en espagnol ni en basque (soulétain mis à part), il est donc imprononçable pour un Espagnol (sauf pour les gasconophones du Guipuscoa d'autrefois et ceux du Val d'Aran, encore aujourd'hui). Les deux langues (gascon et basque) ont longtemps co-existé sur la côte basque, dans sa partie la plus orientale. Ce n'est qu'au début du 20ème siècle que le gascon s'est éteint en Guipuscoa. Il s'est éteint plus tôt à Saint-Jean- de-Luz, mais la toponymie locale en garde des traces nettes, par exemple Saint-Pée sur Nivelle dont la forme basque du toponyme (Senpere) n'est rien d'autre qu'une adaptation basque du toponyme original qui était gascon (Sent Pèr correspondant à Saint Pierre en français, ce serait Don Petri ou Don Petiri en basque), ce qui indique que c'est la forme gascone du toponyme qui est à l'origine de la forme basque (comme de la française) et non l'inverse . On peut citer également cet autre toponyme gascon porté par un faubourg de Saint-Jean-de-Luz : Serres etc. Serres est attesté comme domaine du vicomte de Labourd dès le XIème siècle et St-Pée dès le 12ème. Le fait que le chasseur de baleine de Saint-Jean-de-Luz ait utilisé un mot gascon pour désigner sa prise suggère que le gascon y était parlé au 17ème siècle, comme à Bayonne, Anglet et Biarritz mais aussi à Saint Sébastien, Fontarrabie et Pasai (Passajes) . Cette suggestion est renforcée par l'allure des prénoms des "députés" (comprendre: représentants) du Labourd (hors Bayonne qui avait ses propres députés) chargés de négocier les traités de bon voisinage avec les Basques espagnols au 17ème siècle, ces prénoms sont bien gascons (voir là). La transcription phonétique utilisée dans ces traités permet de confirmer que ce gascon de la côte basque était bien du type "neugue" ("gascon noir", appelé ainsi à cause de la phonétique particulière qui caractérise ce groupe de parlers gascons). Je pense au titre de ce député de Saint-Jean de Luz , à l'évidence un ecclésiastique : "Mouchon Menjougou" (Mouchon = Monseigneur, /mu'ʃœn/ en gascon local), soit Mossen Menjogo en graphie alibertine. Menjogo est une forme diminutive "basco-gasconne" du prénom gascon Menjon (prononcer Men'joung) -soit Dominique en français, - affublé du diminutif affectif basque -ko sous sa forme romanisée -go. Enfin, rappelons le sobriquet dont les Luziens affublent traditionellement leurs voisins de Ciboure, cascarot. Ce mot est tout-à-fait gascon. Le sens premier de ce mot est "grelot" mais, appliqué à une personne, il veut dire bavard, bonimenteur (cf. dic. Palay). Peut-être par confusion d'étymon avec le mot gascon "cascant" qui signifie sale, le mot servait à désigner un bohémien, un va-nu-pied, typiquement à Ciboure et à Saint Jean de Luz. A Bayonne et Biarritz, sous une forme féminine (cascaròta), ce mot désignait populairement une marchande de poisson.
L'hypothèse étymologique la plus répandue, contre laquelle je m'inscris en faux, veut faire dériver notre mot "cachalot" du portugais "cachalote", l'étymon serait le mot populaire portugais "cachola" qui signifie "caboche". Cette hypothèse , émise par l'excellentissime et regretté Coromines, est plus qu'invraisemblable et doit être rejetée. Le mot "cachalote" n'est pas attesté en portugais avant 1855, alors que le mot "cachalut", qui signifie "pourvu de dents" en gascon, l'est déjà en parler de Saint-Jean de Luz dès 1628 pour désigner notre animal. A l'évidence, les Portugais ont emprunté le mot, probablement à l'espagnol. En espagnol, le mot "cachalote" n'est pas attesté avant 1794, plus d'un siècle après l'attestation luzienne . L'étymon de cachalot est bien le mot gascon "cachau" ("grosse dent"), via le dérivé affixé "cachalut" ("pourvu de grosses dents, dentu") (1628) d'où dérive cachalot (1694 ) par changement d'affixe. L'explication gasconne permet de retracer simplement l'évolution du mot sans avoir recours à l'invention de formes imaginaires non attestées, contrairement à l'hypothèse portugaise qui suppose un "*cacholote" fantaisiste. En fait, Coromines ignorait que la forme primitive du mot était "cachalut". L'eut-il-su, il aurait probablement compris son étymologie. C'est évidemment "cachalut" qui est à l'origine de "cachalot" et ce dernier à l'origine de la forme ibérique "cachalote" et non l'inverse.