*Bodwo, Bodwā (combat > corneille, rapace ) C'était un théonyme proto-celtique et aussi un mot du régistre ornithologique. Le mot était (et est toujours) utilisé pour nommer des oiseaux de différents types, à l'origine corneille (v.irl. bodb : corneille) alors qu'en en irlandais contemporain, le mot (devenu "badhgh") est utiisé pour désigner le vautour irl. badhgh: vautour, badhbh ghríofa : vautour fauve (griffon), badhgh mheigeallach (gypaete barbu, lit. vautour énorme). Toutefois l'étymon peut aussi s'appliquer à d'autres oiseaux; en v. breton le mot boduu, bodou est glosé "ardea" (héron ???) tandis qu'en gallois: bòd, bodo s'applique à des rapaces du type buse, busard, autour etc . En breton, baou var. vaou signifie également buse (voir ici et adresses bodw (baou) là et vaou là).
Je suis intrigué par les mots occitans et gascons affixés en -ac (occitan) et òc (gascon) pour dire buse ou assimilés (gascon busòca, bissòc, busòc, bisòc; en Médoc on a bidòc qui signifie busard (Palay et D. Escarpit, là) mais aussi chouette (Palay), toulousain busac (milan royal selon le dic. Acad. Oc. , busa étant buse) , ancien provençal buxac (= budsac ou bussac ?). A part bidòc, d'étymon inconnu selon le FEW, on suppose que ces mots dérivent du latin "buteonem" par dégression illégitime (buteonem> buson > buse - busa. Cette dégression est probablement française, le mot en v. français était buson ou buison ou busson, d'où buson > buse par dégression illégitime, et busard (v. fr. buisart) et bussot par changement de (pseudo)-affixe. J'y reviendrai plus loin. Mais en occitan, -ac ou òc comme affixe, c'est plutôt étonnant, alors que l'occitan dispose de tout plein de suffixes très productifs. On sait que ce suffixe -ac est celtique, et aussi òc en gascon qui en est une variante phonétique provoqué lorsque le "a" de 'affixe celtique est impliqué dans une diphtongue (/wa/ ou /ja/) -> /ɔ/ en gascon (cf kalyako-, bostyako et wroykyako-), donc la question de savoir si l'étymon est celtique est également légitime. Ces formes terminant en -ac et -òc pourraient-elles avoir gardé la trace de cet étymon celtique "bodwa" via un ancien "boduacus" parfaitement attesté comme anthroponyme gaulois (cf.Dic. Gaul. Delamarre)?
L'étymon bodwo affixé pourrait expliquer le mot médoquin bidòc dont badòc (stupide, niais) pourrait être une variante confondue avec la série des dérivés de badar, badaut (< badau <batalem, le t final n'est pas étymologique, pas plus que le "d" du mot français "badaud, id.). Badaut = badalh (qui baille, musart, stupide, niais) (< batalem, étym. batare, fr.bailler). Le mot français buse a également le sens métaphorique de niais, stupide. Dans le cas du mot limousin busaròc qui a également cette signification de stupide, l'allusion au rapace (busaròc = busart x busòc) est claire mais la confusion avec badau(t ) etc n'est pas possible ici. Le sobriquet attribué aux habitants de Busy en Béarn, "buseròc" suggère que le mot a du y être lexical autrefois. De même, busòc (busard, milan etc) a aussi un sens métaphorique de maladroit, musard. La sémantique est proche de celle de la série des dérivés de badar (qui baille, musard) mais la confusion avec badaut, badalh n'est pas non plus possible ici. En revanche, elle a pu l'être avec badòc. Le latin médiéval a cet étrange mot "bedoccus" pour désigner un étranger sans domicile fixe (cf. bedoccus in Ducange), il s'agit très certainement de notre étymon bodwakos > roman bidòc, badòc, *bedòc > lat. bedoccus. Si ce n'est pas notre étymon, lequel? La sémantique, selon moi, fait allusion au caractère itinérant de certains rapaces comme le milan noir (bidòc en gascon médoquin), qui sont des oiseaux migrateurs absents en hiver dans nos régions. On voit avec le mot busòc (en substantif: variété de rapace telle que milan, buzard; en adjectif, le mot signifie musard), que le concept de musardage n'est pas, ou pas seulement, du à l'étymon batare (fr. bailler); le rapace, lui aussi, musarde par métaphore. On voit là que l'étymon celtique bodwakos: rapace a bien pu se confondre avec celui du latin batare en roman.
Les deux étymons synonymes, le celtique bodwa et le latin buteo ont pu également se croiser dans nos variétés romanes, d'où la variété des formes gasconnes bisòc, busòc (< busart, attesté sous la plume occitane de Marcabrú, troubadour gascon), bussòc mais aussi le mot occitan busaròc que l'on retrouve en béarnais avec le sobriquet buseròc, etc. Le mot de l'ancien occitan buxac (budsac ? bussac?) pourrait également dériver de bodwakos avec influx de busart > busac. Le mot italien bozzago (var. bozzagro, buzzago, buzzagro, anc. abuzzago) (fr. sorte de rapace de moyenne taille) pourrait avoir la même origine celtique (bod(w)acus) peut-être via l'occitan buxac (= budzac ? ). L'art de la fauconnerie pourrait avoir été le véhicule de l'emprunt, on y reviendra au paragraphe suivant avec le mot galicien, asturien et cantabre buzaco, buzacu, à l'évidence identique à busac, busòc..
En cantabre on retrouve notre mot sous la forme buzácu à côté de bujárdu , bubárru, bubiárru et bujárru qui désignent tous diverses espèces de rapaces, épervier, milan, busard, hibou etc. ( cf. "el habla pasiega" Ralph J. Perry index bujarru ), lire aussi cet article en langue cantabre, là). La présence de cette forme buzácu est très intrigante. On la retrouve (ou un homonyme) au Portugal sous la forme buçaco, non lexical au moins en portugais, c'est en fait un oronyme représenté une seule fois (Serra do Buçaco ou Mata do Buçaco, autrefois Monte Bussaco) l'étymologie est débattue et des linguistes portugais l'assimilent aux toponymes Boussac et Bouzac occitans (domaine de Boccius, Boduacus ?) voir là. Mais attribuer la signification gallo-romaine de propriété de X à un oronyme portugais, c'est plutôt bizarre. Il doit en fait s'agir d'une forme de notre mot désignant un rapace, peut-être l'épervier qui se dit buzacu en cantabre (esp. gavilán). En galicien on a également ce même mot buzaco qui se dit d'une personne téméraire, qui agit de manière inconsidérée, chez qui la force l'emporte sur la raison. Il est vraisemblable que l'origine du mot galicien soit le nom d'un rapace, sans doute l'épervier, même si le mot ne sert plus.à nommer l'oiseau. En asturien, en revanche, le mot buzacu désigne un rapace de manière assez générique, l'applicant à des espèces très différentes selon les parlers, épervier, autour,milan, buse, hibou, chouette...Ce mot a aussi, comme adjectif (buzacu- buzaca), un sens métaphorique de malingre, de faible constitution. Pour nous-autres qui étudions le gascon, cela nous rappelle cette comparaison gasconne: "prim com un busòc" (interprétée comme "qui la les jambes frêles comme les pattes d'un milan"), mais peut-être allusion devenue inconsciente au nom ancien de l'autour femelle en gascon qui était "prim" (frêle, mince) en raison de sa stature plus frêle que le mâle alors que le mâle était appelé tersol (plus gros d'un tiers) (DAG 12 1510). De la même façon, le faucon femelle était appelé "falcó prim" en ancien gascon. La sémantique de l'adjectif asturien pourrait bien provenir du vocabulaire de fauconnerie. Le lieu de la Serra do Buçaco se trouve du côté de Luso, au sud du fleuve Douro, c'est-à-dire en territoire anciennement lusitain (le lusitain était une langue indo-européenne non-celtique que l'on suppose d'avantage affine à l'italique antique), on n'est plus en Celtie. Par contre, en galicien et en asturien, là où le mot existe bien sous la forme buzaco, buzacu, là, pas de doute, on est bien en territoire celtique.
Il est complexe de faire dériver buzaco du latin buteo qui, de toute façon, ne semble pas faire partie du lexique patrimonial de l'ibéro-roman. Cette dérivation impose une dégression d'un mot dérivé de buteonem avec changement de (pseudo-)affixe, *buzón > buzaco. Le français est coutumier de ce genre de dégression avec des substantif terminant par "-on" qui sonne comme un affixe. Comme exemple: sable < a. f. sablon (< sabulum), buse < a.f. buson (<buteonem). Mais en espagnol comme en occitan, c'est plus compliqué à admettre, surtout que l'on n'a aucune trace de ce mot "buzón" dérivé de "buteonem" ni en occitan ni en espagnol, sauf erreur de ma part. L'occitan ancien ne connait que buzac (avec toutefois une variante phonétique de l'affixe celtique romanisée en- at, cas classique en occitan et en gascon cf cauerat < cauerac, colac vs colat ; creac vs creat, crear etc) ) et buzart qui semble être une forme française (buson > busart) passé à l'occitan. Un fauconnier est appelé buzacador dans la langue des troubadours, cela ne va guère de pair avec l'hypothèse d'un affixe soi-disant dépréciatif, l'oiseau étant au contraire très prisé. Donc l'autre hypothèse serait que le mot bisòc, oc. busac, asturien et galicien buzacu, buzaco vienne d'un autre étymon, un mot celtique puisqu'accompagné de l'affixe celtique -ac, l'étymon celtique étant alors bodwo (cf. gallois bòd, bodo rapace, buse; breton bolz, bou id.).
Le mot gascon dérivé du celtique, originaire du nord du domaine (Médoc: bidòc) a du se croiser avec le mot busart (buzard) probablement hérité de l'ancien français et que l'on retrouve en occitan sous la plume en particulier du troubadour gascon Marcabru, d'où les hésitations phonétiques du gascon qui les a mélangés (bidòc, bisòc, bissòc, bussòc, busòc). On a là, sous ses diverses formes, le mot gascon cognat de l'occitan busac, également d'origine celtique et lui aussi influencé par busart. Il est possible que le mot ibéro-roman busaco, busacu soit un emprunt, un mot voyageur provenant du nord des Pyrénées (Toulouse? ) et qui aurait voyagé par les chemins de Saint-Jacques possiblement comme terme de fauconnerie. Le mot occitan busac, sous une forme adaptée à l'ibéro-roman, a, de cette manière, enrichi les lexiques de l'astur-léonais (cantabre inclus) et du galaïco-portugais, tandis que les formes cantabres en -arru (bujarru, bubarru etc) sont les cognats du castillan buharro qui désigne le petit-duc dans le lexique standard (étymon latin bubo > bu(h)o + affixe -arro). Le "b" intervocalique du mot cantabre serait une consonne anti-iatus comme le b du mot gascon flabuta (<flaüta) (El habla pasiega R.J. Perry § 59).
Tout ce développement pour soulever plus de questions que d'apporter de réponses, mais au moins on aura appris quelques mots bien exotiques et fait fonctionner nos neurones. C'est déjà ça.