Un exemple très parlant de mot voyageur ayant passé par la "case gascon" est le mot gallo (la) "marache" qui résulte de la romanisation du syntagme breton "morc'hach", forme dialectale de "morc'hast" (lit.mer-chienne, en clair chienne de mer) signifiant toute sorte de squale, en particulier le requin bleu (Publication du linguiste brestois D. Le Bris). Ce syntagme breton a une structure très archaïque qui pourrait remonter au celtique ancien selon D. Le Bris. En tout cas, la forme romanisée du syntagme, ce mot marache, est passé du gallo au normand de l'Île St Michel au nord. Au sud, il a été adopté par toutes les langues de la péninsule ibérique via le mot du gascon negue (groupe de parlers gascons de la côte basque et landaise) "le marraisha" (ou "le marrache" selon le système graphique que l'on désire employer). En gascon, ce mot désigne la roussette, un petit squale. Attention, le mot est bien féminin en gascon, l'article du gascon "negue" "le" est bien l'équivalent du "la" français et espagnol, c'est le féminin de lo. Notez aussi les deux r, cette gémination ajoute une expressivité négative au mot en gascon. Je suppose que le mot gallo est d'abord passé par la case poitevin-saintongeais avant d'arriver en gascon où il a gagné en expressivité avec le doublement du r. En gascon, ce mot "marrache" est spécifique du lexique des parlers maritimes. Notre mot a continué sa route vers le sud, (le) "marrache" est devenu "(el) marraxo" en passant à l'espagnol (16eme siecle, x se prononçait sh, à peu près comme ch en français). Ce mot qui signifie "squale, requin" a évolué en "marrajo" au 17ème.
Vous noterez qu'en passant du gascon à l'espagnol, le mot a changé de genre. Cela est probablement du à la forme de l'article feminin "le" et la phonétique du gascon negue, la voyelle finale atone de "marrache" se prononçant entre le e et le o: œ. On observe le même résultat avec "le tournade" ou plutôt "le tornade" en gascon bayonnais, en gascon devenu "el tornado" en espagnol, on suppose généralement que c'est via l'anglais dans ce cas mais il me semble plus probable que ce soit directement du gascon à l' espagnol et de l'espagnol ou du gascon espagnolisé il serait passé à l'anglais. Il ne faut pas oublier que le gascon negue était aussi une langue d'Espagne parlée sur la côte basque entre Hendaye et Saint-Sébastien, et ce probablement depuis au moins le douzième siècle et jusqu'au début du 20 ème où il s'est finalement éteint à Pasaia au profit du basque et du castillan (Pasaia, en espagnol Pasajes, toponyme roman d'origine gascone: passadye =passage et plus spécialement port, ici celui des bateaux) avec la mort de dame Eduvigis Trecett en 1919.
Notre mot gallo gasconnisé puis espagnolisé s'est installé dans toutes les langues de la péninsule où il signifie "requin": marraxoa en basque, marrachu en cantabre et asturien, marracho en portugais, marraix en catalan. En catalan normé, le mot désigne spécifiquement le requin-taupe. Le mot espagnol marrajo (requin, squale) a donné un adjectif marrajo-marraja (rusé, perfide) et ce mot est passé une deuxième fois en catalan sous la forme adaptée marraco qui désigne une sorte de monstre malfaisant de la tradition populaire. Le mot a repassé la frontière dans l'autre sens, on retrouve ce mot marraco en occitan (non-gascon). En gascon, on le retrouve au feminin marraca, il désigne la toile d'araignée (cf. esp. marraja: rusée, perfide). Ce mot "mar(r)ache" n'est pas du lexique du français de France, mais il a été adopté en français du Québec, peuplé largement de colons venus de la côte ouest française, sous la forme maraîche (s.f. soit requin-taupe ou veau de mer, consultez la wiki à maraîche).
En conclusion, si le mot a voyagé et passé la frontière franco-espagnole à deux reprises, ce n'est pas du tout parce qu'il viendrait d'une langue dominante comme le français ou l'espagnol, mais bien parce qu'il est expressif et qu'il plait en tant que tel. En breton, il existe un autre syntagme très analogue pour désigner la grande roussette: 'morgui' c'est à dire lit. mer-chien, chien de mer. Au fond, c'est la forme masculine de morc'hast. Ce syntagme a également été romanisé en gallo, il est attesté en saintongeais de l'ile d'Oleron sous la forme mœrc, en fr. grande roussette, il est passé également en gascon maritime: mirc, attesté dès le 13eme siècle à Bayonne; en gascon contemporain: mirc et mirque (mirca) (Arcachon). Mais il n'est pas "descendu" au delà du Pays basque, celui-là. Il n'est pas aussi voyageur que mar(r) ache :-D. Il ne devait pas plaire autant.
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