dimarts, 17 de setembre del 2019

Cachalot, baleine: des gasconismes en français.

Le mot d'attestation la plus ancienne de toutes les langues romanes pour désigner le cachalot est gascon: "cauerat" var. "caurat". Ce mot apparait pour la toute première fois sous la forme cauerac (Bayonne, 1258). La formation de ce mot est cent pour cent gauloise: *cauaracu- signifie gigantesque, colossal en gaulois (dérivé affixé de cauaros-: géant, colosse). Ce n'est pas l'unique mot gaulois de ce type en gascon, on en trouve d'autres, par exemple creac (Bayonne, 1322, fr. esturgeon) et colac (fr. alose) qui sont des poissons migrateurs remontant l'estuaire de la Gironde voire plus en amont dans la Garonne dans le cas de l'alose. Vous trouverez l'étymologie gauloise de creac (*cragacu- lit. "carapacé")  et de colac (*colacu- lit. "pointu") dans le FEW.  Cauerat ou caurat est un celtisme purement gascon, on ne le retrouve nulle part ailleurs dans les langues romanes.  Le mot colac (fr. alose, poisson de  Garonne), est partagé entre gascon et languedocien depuis le 11ème siècle au moins. Le mot a été emprunté en moyen français (il est éteint en français, au profit d'alose, un autre mot hérité du gaulois). On le retrouve aussi en euskara ( kolaka, id), un emprunt probable au gascon.  Creac var. creat, (fr. esturgeon) est un mot girondin, comme le poisson lui-même,  qu'on retrouve emprunté par l' occitan et le moyen  français (éteint en français, au profit du mot esturgeon, un germanisme probablement romanisé en normand et ayant voyagé). En gascon, le mot creac est synonyme de breguin, mot que l'on retrouve dans différentes langues romanes pour désigner différentes espèces de poissons, du  germanique brekan: briser (allusion au museau proéminent de l'esturgeon) . Ces mots gaulois en gascon nous rappellent que, il y a 20 siècles, des Celtes peuplaient la vallée de la Garonne (de l'estuaire de la Gironde jusqu'à Salardú en Aran) ainsi que la côte du Golfe de Gascogne. 

Le mot "cachalot", lui, est totalement gascon de formation, contrairement à ce qu'on vous affirme ici ou là.  Il dérive de "cachalut" par changement d'affixe. "Cachalut" est bien la forme du mot d'attestation la plus ancienne, il désignait le cachalot en parler de Saint Jean de Luz (1628) (cf. cachalot in CNTRL). Ce mot cachalut signifie dentu en gascon, c'est-à-dire qui a des dents (par opposition aux baleines qui ont des fanons à la place des dents). On peut en déduire qu'on parlait gascon à Saint-Jean de Luz à l'époque où le mot cachalut y a été collecté (premier tiers du 17ème siècle). Le mot cachalut, imprononçable en basque navarro-labourdin comme en espagnol à cause du u /y/, a changé d'affixe (-ut - > òt) pour donner cachalot. Le mot sous cette dernière forme est apparu pour la toute première fois en 1675, toujours au Labourd. Il a été adapté dans un très grand nombre de langues, toutes celles de la péninsule ibérique (cachalote, katxalote, catxalot etc) mais aussi l'anglais, le russe, le finnois, les langues gaéliques, l'ouzbek, l'espéranto et beaucoup d'autres. 

Et le mot français "baleine" cache probablement un autre gasconisme.  Le "i"du mot gascon baleia est une cicatrice de la perte du "n" intervocalique du mot latin. "balena" >" baleia" en gascon ( Gascogne maritime, en particulier Bayonne). C'est sans doute à partir du mot gascon baleia (aussi écrit baleye) qu'a été dérivée, par erreur de correction, la forme latine médiévale "baleina" (12ème siècle), en place de bal(a)ena. Un gasconisme en latin médiéval, en quelque sorte. C'est de cette forme gascono-latine"baleina" que vient le mot français baleine ( cf. Dictionnaire d'Ancien Gascon vol12).



P.S. Un lecteur érudit m'a fait la remarque suivante, où il me resort l'hypothèse du DAG sur cauerac qui serait "sans aucun doute" une erreur de lecture pour "cauerat". Je n'accepte pas cette hypothèse du DAG et je m'en explique. Tout d'abord, voici la phrase de mon correspondant: :

"En fait "cauerac" doit être sans aucun doute "cauerat". Il est souvent impossible de distinguer clairement le c du t dans les documents des XIIIe-XIVe et XVe siècles, donc l'éditeur s'est juste trompé dans sa transcription."

Et voici la réponse que je lui ai faite:

Non, ça c'est l'hypothèse du DAG mais il n'y a aucune raison de l'accepter. C'est bien "cauerac", avec un "c" final, comme "creac" (fr. esturgeon) et "colac" (fr. alose) qui sont d'autres mots hérités du gaulois en gascon (voir le FEW pour l'étymologie gauloise des mots "creac" et" colac"). L'erreur supposée par le DAG n'en est pas une.

"Cauerat" qui est la forme moderne du mot (attestée dès le 14ème siècle), dérive de "cauerac" assez simplement, le "c" de -ac en gascon étant prononcé /t/ dans de nombreux parlers. D'ailleurs, les variantes avec "t" final existent aussi pour "creac" et  "colac" (cf. FEW et DAG vol. 12). La construction de "cauerac" s'explique sans difficulté avec le lexique gaulois, sur le modèle fourni par "creac" et "colac". "Cauerac" de "cauaracu", gigantesque, colossal cf. cauaros ou kauaros dans n'importe lequel des dictionnaires de proto-celtique et dans le dic de langue gauloise de X. Delamarre.


Le DAG s'est en fait trompé d'étymon, pensant relier "cauerat" au latin "caput".  Ils devaient penser à "caperat" de "caperar". Mais "cauerat" ne dérive certainement pas de "caput", le "glide" /w/ dans le mot gascon ne s'expliquerait pas dans l' hypothèse contraire. Donc c'est bien le DAG qui a commis l'erreur ou plutôt, au final, deux erreurs : celle sur l'étymon induisant la supposition erronée d'une faute de copie ou de lecture. J'espère que mon explication t'a été utile!