Cachalot. L'étymon du mot "cachalot", faussement attribué au portugais par Coromines , avait déjà été correctement identifié en 1893 comme étant le mot "cachau " qui signifie "grosse dent" en gascon (caishau en graphie alibertine), par le professeur grenoblois d'origine gasconne Maxime Lanusse (1853-1930). Il mentionne cette étymologie dans son ouvrage "De l'influence du dialecte gascon sur la langue française de la fin du 15e siècle à la seconde moitié du 17e". Voir là (cherchez "cachalot"): https://archive.org/details/delinfluencedudi00lanuuoft/page/302/mode/1up
Il avait vu juste, le Maxime, qui devait bien mieux connaitre le gascon que le propre Coromines, en dépit de la thèse que l'émininent et regretté lingüiste catalan avait publiée sur le parler de la Val d'Aran. En effet, la forme la plus ancienne de notre mot "cachalot" est bien "cachalut" (parler de Saint-Jean-de Luz, 1628, ce mot "cachalut" y désignait déjà ce cétacé voir CNTRL). Or, cachalut (aussi graphié caishalut) est une forme affixée de cachau (caishau, fr. grosse dent) . Cette affixation est parfaitement régulière en gascon (caishau > caishalut comme peu > pelut (fr. poil, poilu, pourvu de poils); dent > dentut (fr. dent, dentu, pourvu de dents); bèc > becut (fr; bec, pourvu d'un bec ou d'un bec de lièvre) etc. Caishalut signifie donc "pourvu de grosses dents". Cette signification fait sens: le cachalot se distingue des baleines vraies par le fait qu'il a de véritables dents au contraire des baleines qui n'ont que des fanons. Les linguistes, pas plus les occitanistes que les autres, n'ont su ni reconnaître ni interprété le mot cachalut. Il est vrai que le gascon est largement une "terra incognita" chez beaucoup de nos linguistes, y compris les occitanistes pour qui gascon se résume trop souvent à béarnais sinon à un "dialecte" trop "spécial" pour être digne d'intérêt. Et tous ignorent ou refoulent le fait que le gascon était autrefois une langue romane basque, parlée sur la côte basque des deux côtés de la frontière. Le gascon de la côte basque était de phonétique assez particulière (conservation assez fréquente du /o/ prétonique au lieu de /u/ : trobat et non troubat (J. Larrebat, poésies gasconnes, voir les commentaires de H. Gavel), yumpolà et non *yumpoulà (Palay), plorà et non plourà (Pasaia, cf. Aitona Ixidro), topét pour toupét (dic. Foix, v. toupét) , toque-tocan (sic) pour touque-touquan (dic Foix), tostà pour toustà (Foix) etc, etc.. Ce gascon, éteint, nous a laissé des mots comme chipiron (< *sepillonem < lat. sepia, mais aussi chistera (< lat. cistella) (l'"r" intervocalique de ces deux mots signe une formation gasconne et non euskarienne, l'euskara transforme la géminée latine ll en l simple, le gascon le fait en "r"), piperade (piper signifie poivre, poivron en euskara (< latin piper), le mot basque a été emprunté par le gascon (pipèr, r final sensible) avec la signification spécifique de piment. Piperrar: pimenter. piperrade = pimentée), tornade et aussi, spécifiquement en espagnol: (el) tornado (< (le) tornade, s.f. ); (el) galerno (< (le) galerne); (el) marrajo (< (le) marrache (s.f.) < gallo (la) marache < bret. morc'hast), p-ê aussi berro (< (le) berle < gallo-lat. berula, sinon directement du celtique beruro),-probablement aussi cabillaud (*cabelhau < cabelh) et sans doute d'autres.
On devait parler gascon à Saint Jean de Luz au 16ème et manifestement encore au 17ème siècle, comme à Saint Sébastien (Sent Sebastian), Pasaia (Passatje), Hondarribia (Hontarràbia) et Bayonne (Baiona). Les prénoms et titres des députés luziens de l'époque chargés de négocier les traités de bons voisinage avec leurs voisins espagnols l'attestent indirectement. Citons, par exemple "Mouchon (sic) Menjougou de Agorreta " (1536). Le titre "Mouchon" (graphie pour /Mu'ʃœn/) veut dire Monseigneur en gascon, titre réservé aux évèques et autres ecclésiastiques. Menjougou est un diminutif de Menjou qui n'est un prénom ni français ni euskarien ni espagnol mais bien gascon (Dominique en français, Domiko ou Txomin en euskara, Domingo en espagnol) affixé avec -go ou -gou, forme prise en gascon par l'affixe diminutif basque -ko. Le-dit Monseigneur Menjougou de Agorreta a d'ailleurs graphié son prénom en bas du traité: Menjougo. Il faut aussi noter que la toponymie luzienne est en partie linguistiquement gasconne, par exemple Serres, Sent Pèi(r) (Saint-Pée sur Nivelle) adapté comme Sempeio en basque, on voit que c'est la forme gasconne du toponyme qui est à l'origine de la forme euskarienne et non l'inverse: Sempeio n'est pas un toponyme d'origine euskarienne (ce serait quelque chose comme Donpediri en basque) mais bien d'origine gasconne (au sens linguistique du terme). En témoigne aussi le sobriquet dont les Luziens affublaient et affublent encore leurs voisins de Ciboure: "cascaròt" (lit. personne qui parle beaucoup, bonimenteur), mot on-ne-peut-plus gascon. J'y reviendrai, pour l'affixe -òt du mot. Pour plus d'exemples illustrant la gasconophonie luzienne voir là).
Cachalot- cachalote dérive de cachalut par changement d'affixe, à l'évidence motivé par une adaptation hispaniste sinon hispanisante. Ici, attention, l'affixe -òt n'apporte pas cette nuance diminutive que l'on attend avec cet affixe en occitan. Il est, au contraire, traité plutôt à l'espagnole, c'est-à-dire comme un augmentatif avec de sucroit une nuance quelque peu dépréciative comme c'est souvent le cas en catalan et en espagnol et parfois aussi en gascon, comme on va le voir par la suite.
Un autre exemple d' adaptation "hispanisante" très comparable à celle qui a mené de "cachalut" à "cachalòt" concerne le mot gascon "avalut" (s.m.) . Ce mot provient d'une reconstruction masculinisante du mot "avaluda "(s.f.) , variante de "valuda" (s.f.) < lat. voluta) dont il reste synonyme. Du mot avalut a du être dérivé, par le biais de ce même changement d'affixe, le mot "avalòt" (mouvement convergent de foules, en gascon, selon Palay) que l'on retrouve en catalan (avalot) avec la signification plus concrète de soulèvement, de sédition, d'émeute. L'étymologie proposée par Coromines pour expliquer le mot catalan "avalot", à savoir substantif dérivé du verbe avalotar qui dériverait lui-même du verbe lat. "volutare', n'est pas vraiment crédible. En effet, elle supposerait la persistance de la consonne alévolaire sourde en position intervocalique du verbe latin "volutare" en roman. Ce n'est pas du tout canonique. D'ailleurs, le verbe "voludar" (< volutare) est parfaitement attesté en catalan dialectal, la formation de ce verbe "voludar" y est parfaitement régulière : en effet, ici pas de "t" mais bien un "d" comme espéré. Il doit donc y avoir une autre hypothèse pour expliquer ce mot "avalòt" et cette hypothèse a échappé à Coromines. Le regretté lingüiste catalan semble avoir ignoré l'existence de différentes formes manifestement apparentées à "avalòt" que l'on trouve spécifiquement en gascon : "valuda", "avaluda" et "avalut". Ces formes prises par le mot latin "voluta" sont spécifiques au gascon, caractérisées par un vocalisme prétonique un peu aberrant par rapport à l'étymon mais constant entre ces différentes formes, ce qui indique une relation phylogénétique entre elles. Seule la philologie gasconne permet de comprendre la relation entre le latin '"volutare" et le mot "avalòt" duquel dérive le verbe "avalotar". Elle explique bien, en particulier, pourquoi il y a un "t" en position intervocalique dans "avalotar". C'est avalotar qui dérive d'avalòt, lequel dérive d'avalut par un artifice assimilable à un changement d'affixe. Ce dernier mot, spécifiquement gascon comme les formes dont il dérive , a été reconstruit à partir d'"avaluda" , forme synonyme et dérivée de "valuda" (< lat. voluta). Le vocalisme prétonique de valuda (au lieu de voluda) est aberrant, problablement pour des raisons de confusion du mot avec une forme verbale cf. voler /valer; voluda, valuda; cette confusion avec une forme verbale est également à l'origine de la reconstruction de la forme masculine (avalut). Ce vocalisme prétonique "a" de "valuda" marque cette famille de mots et il est significatif qu'on retrouve cette voyelle dans avalòt . La construction du mot catalan "avalot" est, en réalité, gasconne. Il faut rappeler ici que certains mots gascons n'existent...qu'en catalan. Ce n'est pas le cas d'avalòt que l'on trouve bien dans les deux langues. Par contre, c'est le cas de mots catalans comme, par exemple, batissac (chaussée défoncée, lit. qui "bat" l'estomac) et gamarús (chouette) qui sont des mots de construction typiquement gasconne, sans équivalent dans le lexique catalan mais que l'on retrouve avec d'autres mots du lexique gascon comme, respectivement, "baticòr" ou "batecòr" (émotion, lit. qui bat le coeur) ou "batedit" (panaris, lit. qui bat le doigt) et tumahus (tumar-hus: taciturne, lit. coup de tête-volatile nocturne) ou tinhahus (tinha-hus, lit. tègne-volatile nocturne). Je comprends "gamarus" comme *gamar- hus c'est-à-dire volatile nocture qui apporte le "gam" ( maladie du bétail). Ces mots catalans d'origine gasconne (dialectaux pour la plupart en catalan) sont probablement l'héritage des parlers (éteints) de la communauté gasconne de Catalogne, le D.C.V.B. en est rempli. Il n'est pas impossible que le changement d'affixe d'avalut pour avalòt se soit fait en gascon de Catalogne même, en substituant l'affixe gascon -ut /yt/ d'avalut (imprononçable en catalan et en espagnol) par l'affixe assez commun de valeur dépréciative -òt (-ote en espagnol, cf. albarote en vieux castillan, aujourd'hui alboroto, qui a le même sens que le mot catalan avalòt; gascon arbaròt, id. ). Ce néologisme "avalòt" a du servir à désigner les émeutes spectaculairement dévastatrices et très meurtrières dirigées contre les "calls" juifs qui ont eu lieu dans plusieurs villes catalanes (et ailleurs) dès 1348 et au delà durant le 14 eme siècle en réaction à l'épidémie de peste noire. La première attestation de ce mot en catalan remonte précisemment au 14ème siècle.
A cet exemple d'"avalòt" dans lequel l'affixe-òt n'apporte aucune nuance diminutive mais bien dépréciative, on peut aussi ajouter celui de "cascaròt" qui désigne, en gascon de la Côte Basque, une personne qui n'arrête pas de parler, un grand parleur, un bonimenteur cf. Palay). Tous ces exemples nous rappellent qu'en gascon confrontant l'espagnol, les valeurs de l'affixe -òt peuvent être les mêmes qu'en catalan et en espagnol, c'est-à-dire soit augmentative, soit dépréciative, soit les deux. Nous en avons de bons exemples en aranais : "qu'ei un planhòt" (se dit de quelqu'un qui se plaint beaucoup), "plò a chorròt" (il pleut des cordes; cf. Coromines, El parlar de la V. d' A p. 240. ). Mais c'est aussi le cas en béarnais et en bigourdan, par exemple avec la variante affixée en -òt de sarron (gibecière, sac, étymon basque zorro : sac, selon Coromines)," un sarròt de" signifie "une grande quantité de", le terme affixé avec -òt ne présente ici aucune nuance diminutive, bien au contraire. De même barròt (barra lat. vara ou vallum ) désigne un gros bâton etc. Ce traitement sémantique de l'affixe -òt hors des champs du diminutif et de l'affectif peut être considéré comme un hispanisme. C'est évidemment le cas ici avec caishalòt.
L'étymologie proposée par Coromines pour "cachalot" et qui a été reprise dans tous les bons ouvrages (portugais cachola = tête, caboche) est parfaitement invraisemblable. Elle a été visiblement suggérée à Coromines par le mot "capgros" (grosse tête, têtard) qui désigne le cachalot en catalan. Cette hypothèse étymologique portugaise est à rejeter pour plusieurs raisons. D'abord, elle fait fi de la forme la plus ancienne du mot qui est "cachalut" (1628). Coromines ignorait tout de cette forme et de son attestation très précoce. Or, comme vu plus haut, "cachalut" est une forme affixée, tout-à-fait régulière en gascon, de cachau (caishau = grosse dent) et qui signifie "pourvu de grosses dents". De plus, dans son hypothèse lusitanienne, Coromines est obligé de s'inventer une forme intermédiaire pseudo-portugaise "*cacholote" qui n'est documentée absolument nulle part et qui n'a vraisemblablement jamais existé. De surcroit le mot "cachalote" n'est attesté en portugais qu'à partir de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, soit plus de trois siècles après la première attestation du mot, luzienne. C'est évidemment cachalut (1628) qui est à l'origine de cachalote (en espagnol: 1795; en portugais 1855), via la forme cachalot (attestée au Pays Basque dès 1675), et non pas l'inverse.
Rendons à Maxime Lanusse le mérite d'avoir élucidé l'étymon de cachalot dès 1893. Il ignorait certainement l'ancienne attestation de la forme "cachalut" qui aurait confirmé son intuition. Rendons au gascon cet étymon de cachalot. caishau (grosse dent) > caishalut (1- pourvu de grosses dents, 2- + cachalot) > + caishalòt (cachalot). L'attestation la plus ancienne du mot "cachalot", sous cette forme, l'est dès 1675, spécifiquement au Pays Basque, à nouveau. Elle précède toutes les formes ibéro-romanes en -ote qui doivent en dériver. En gascon, le mot cachalot (caishalòt) a du s'éteindre avec le parler luzien dont il était constitutif.
Gràcies a Admi Nistrador per haver-me trobat i comunicat la referència d'aquesta obra de Maxime Lanusse.