Le saviez-vous? Un autre mot que l'on attribue à notre basco-gascon (gascon de la côte basque, Guipuscoa inclu) est le mot "cabillaud". L'origine du mot cabillaud en français viendrait d'un emprunt au néerlandais "Kabeljauw" (id., anciennement kabeljaw cf. FEW 16, p.29). Le mot français est de première attestation plus ancienne que le mot néerlandais (1276 pour le mot français cabellau, 1350 pour le mot néerlandais: kabeljaw) mais la toute première attestation du mot l' est sous une forme "latine" (cabellauwus) dans un manuscrit flamand (12eme siècle). L'origine de ce mot Kabeljauw, cabellau est de toute façon totalement incompréhensible, sauf à considérer le gascon, ce que les linguistes omettent généralement de faire, par ignorance voire par mépris (cf. FEW 16, p.292).
Coromines été le premier à avoir identifié l'origine du mot comme pouvant être gasconne. Il a proposé "cabilhau". Dans notre dictionnaire gascon (Palay), le mot "cabilhau" est une forme suffixée de cabilhe (cavilha) = fr. cheville qui dérive du lat. clavĭcula selon FEW 2, 263 . Les deux mots cabilhe et cheville sont cognats et le mot gascon "cabilhau" ne désigne pas autre chose qu' une grosse cheville en bois. Sémantiquement, on ne voit pas bien le rapport entre une grosse cheville de menuisier et notre poisson. Si l'on considère l'étymon ""caput" (tête)" comme la base étymologique du mot cabillaud, comme Coromines le suggère avec raison compte-tenu de la morphologie du poisson, on aurait alors plutôt affaire à une forme affixée du mot "cabelh": "*cabelhau".
Le mot "cabelh" et sa variante "cabolh" signifient basiquement "épi" (mais aussi "tête" "dans le cas de "cabelh"). Ils dérivent du latin capĭtulum (FEW, 2, 265, voir aussi Coromines el parlar de la Vall d'Aran). En gascon, le mot cabelh est ressenti comme un dérivé affixé du mot "cap" (tête, extrémité) mais sans la nuance diminutive de l'étymon latin. En plus du sens d'épi, le mot "cabelh" sert à désigner la cime d'un végétal (gasc. cim, cimat, cimalh etc) et signifie aussi crâne (gasc. crani, cluca etc), tête (gascon: cap) et même grosse tête (cabòssa) (cf. Palay et FEW 2, 265 capitulum). Le mot kabeljaw pourrait représenter la forme suffixée du mot "cabelh", "*cabelhau", en accord avec la forme latinisée cabellauwus du 12ème siècle. L'affixe - au est le continuateur gascon du suffixe adverbial latin -alis, il sert le plus souvent à former un adjectif à partir d'un substantif, en gascon comme en latin: aig(u)a-> aig(u)au, natura > naturau, gèni >geniau, esséncia > essenciau, bèstia > bestiau, etc. Mais il peut aussi servir à former des substantifs comme (un) animau; (un) cavilhau; ( ua) vesiau (<vesin); (ua) canau, (ua) gau (<canale- < canna); un aig(u)au, (un) crancau (<cranc, cranca, p.-ê. étym. celtique *krankko- plutôt que lat cancrum, fr. crabe) etc, c'est le cas ici avec *cabelhau, comprendre "qui a une grosse tête, "têtard". Le mot "latin" cabellauwus ne serait rien d'autre qu'un gasconisme.
Ce mot gascon, prononcé */kaβǝ'λaw/) a subi une métathèse peut-être lors de son emprunt par une langue romane ( cf. portugais bacalhau, la date de la première attestation dans cette langue m'est inconnue, l'invention technique de la conservation de la morue par salage remonte au XVème et est revendiquée par les Portugais ), à moins que la métathèse ne se soit dejà faite en gascon avant de passer sous cette forme dans les autres langues voisines. Il est intéressant de constater qu'en argot des pêcheurs anglais, le mot kabbelaw signifie poisson salé (voir là). , ce qui suggère que la métathèse a eu lieu à une date postérieure à l'invention de la technique du salage pour conserver le cabillaud (morue). En tout cas, c'est cette forme métathésique qui a voyagé dans la péninsule ibérique et le monde méditerranéen avec les morues conservée par salage: esp. bacallao , bacalao (1519) > catalan: bacallà (1640) (aranais bacalhà) et italien baccalà, baccalaro. En gascon, la forme ancienne *cabelhau a disparu, sous la conjonction probable de deux facteurs: l'extinction des parlers gascons du Pays Basque où le mot pour désigner le cabillaud était probablement endémique (ce n'est pas le seul cas de mot endémique dans cette variété de gascon) et le remplacement de ce mot par la forme métathésique qui, en gascon, ne se retrouve que dans le parler de la zone de Bayonne (bacalau). Le mot semble inconnu ailleurs en gascon. Selon M. Morvan, le mot basque "bakailao" (id.) est un emprunt au roman. On voit que la forme métathésique est relativement tardive (première attestation du mot en espagnol: 16eme siècle) par rapport à la forme cabelhau qui ,elle, est attestée en latin médiéval dès le 12ème et s'est répandue en France, dans les langues germaniques et balto-slaves. On peut imaginer que le succès de la forme métathésique dans la péninsule est liée au succès de la technique portugaise de séchage du cabillaud par salage, autrement dit, on est passé du cabillaud qui se dit, en gascon, molua (<*mor-luka, i.e. louve (?) de mer en gaulois, cf. lobina, llobina) et probablement autrefois *cabelhau en gascon du Pays Basque, à la morue (gascon de Bayonne bacalau), permettant au produit de voyager jusqu'aux coins les plus éloignés de la mer et d'y être conservé .
Cachalot, tornade, piperade, chistera, chipiron, cabillaud...ça commence à en faire, des mots que l'on doit à cette variété méridionale du gascon noir !!!
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