Un lecteur assidu et critique, à défaut de convaincu, s'étonnait que l'on puisse avoir des mots d'étymon celtique propre au gascon. Pour lui, ces mots doivent passer par le latin et donc se retrouver un peu partout. Ce postulat est tout à fait erroné pour deux raisons bien évidentes.
1- Ce n'est pas parce qu'un mot celtique passe au latin dans un parler qu'il sera forcément compris et utilisé de manière universelle. Il ne va pas forcément diffuser de manière importante.
2- Un mot celtique en gascon a pu y arriver par diffusion ou résulter d' un emprunt à une autre langue et pas nécessairement venir du latin local.
Certes, un grand nombre des mots celtiques passés dans les langues romanes l'ont été par le latin et ont diffusé sous une forme latinisée. C'est le cas bien sûr de camino-, mot latin d'origine celtique (kamanno- en gaulois). Mais on a aussi de nombreux cas de mots d'origine celtique qui ont peu ou pas diffusé. Par exemple le mot languedocien "glas" pour désigner une sorte de bleu est sans contexte un mot celtique mais il n'a pas diffusé. En celtique, on retrouve ce mot glas en irlandais , en moyen-breton et en gallois. Il vient du protoceltique *glasto- , un adjectif qui signifiait indifféremment vert ou bleu . Pline rapporte qu'en en gaulois, glastum était le nom de la plante Ysatis tinctoria. C'est à partir de cette plante que l'on prépare le pastel. Le mot n'est jamais passé en latin général. Mais on comprend que ce mot gaulois puisse avoir été conservé spacifiquement dans le pays de la Cocagne . En gascon, c'est aussi le cas de "taram", de "bom", de "cauerat" et peut-être de aussi "baran" e d'"arriaŋ". Soc a relativement peu diffusé, on le trouve en domaine d'oil, en arpitan et localement en gascon, mais pas ailleurs. En gascon, le mot soc a un sens différent du mot soc en français mais toujours lié à l'araire. En limousin, on peut citer le mot "chambija" qui désigne le timon d'araire, je ne crois pas qu'on le trouve nulle part ailleurs qu'en limousin. Bòme /bome (j'ai de bonnes raisons de penser que c'est bien le mot celtique et non le latin vomer, ce dernier également représenté en gascon) aussi a diffusé mais de manière restreinte et uniquement dans le domaine gascon, voire peut-être jusqu'en Aragon. Le fait qu'il se trouve en béarnais et en gascon de Bigorre ne signifie pas qu'il soit né là-bas. C'est un mot qui a pu être originaire de la région bordelaise et qui aurait donc pu diffuser à partir de là. Même chose pour le mot "com", "comet" etc (abreuvoir, auge, cuve à foulon), qu'on trouve en particulier en Comminges, Bigorre et Béarn mais aussi en languedocien de la région garonnaise. Ce mot doit provenir de la langue des Gaulois de la vallée de la Garonne plutôt qu'être un emprunt au breton. On peut dire la même chose de lugre et de ses dérivés lugret, alugret, lugrejar, lugrir e surtout le gasconissime lugran (lugrâ) ( < *lugrānu). Ce sont des dérivés clarissimes de lugră, un mot proto-celtique bien établi que l'on trouvera dans tous les lexiques de proto-celtique. Lugră signife littéralement la brillante et désigne la lune en celtique. En gascon et en occitan, il signifie étoile et aussi oeil et ver luisant par métaphore. Sa diffusion se restreint à l'occitan à l'ouest du Rhone. Sur les confusions entre cet étymon lugră, l'autre étymon celtique lukarnum (> lugarn en oc. lugern en breton, lucarne en français, à l'origine, lukarnum signifiait flambeau, lampe, sens de lucarne en vieux français) et l'étimon latin lucanus (lumière de l'aube), voyez mon post, dont la référence est sur la page d'accueil de ce blog dans la marge de droite.
Ensuite, les mots celtiques arrivés en gascon ne le sont pas nécessairement via le latin. Un grand nombre sont arrivés bien plus tard. Deux exemples en gascon: brigand (mot voyageur venu de l'italien brigante, l''étymon est celtique) et pingoïn. C'est aussi le cas, par exemple, du mot "marraisha" qui est d'origine bretonne (morc'hast) et qui a été romanisé par le gallo en "marache". Je tiens cette dérivation d'un article de D. Le Bris (Concordances linguistiques celto-ibériques: les noms de "requin peau-bleue", prionace glauca, en Péninsule armoricaine et de "requin-taupe", lamna nasus, en Péninsule ibérique". Estudis Romanics [Institut d'Estudis Catalans], Vol. 35, 2013, p.283-305.) j'en ai déjà amplement parlé dans ce blog. Ce mot breton a eu énormément de succès dans la péninsule ibérique, on le retrouve dans absolument toutes les langues de la péninsule, mais cela ne doit strictement rien au latin. Au passage, c'est probablement le gascon noir qui a passé le mot à l'espagnol, on note le changement de genre caractéristique des emprunts espagnols au gascon noir (gasc. le "marrache" (s.f.)- > esp. el marraxo, marrajo). Ce serait peut-être aussi le cas du mot "galerne" , galerna en esp., que les étymologistes espagnols veulent faire venir du breton "gwalern". Mais cette hypothèse est réfutée par les celtisants qui pensent que c'est le mot breton "gwalern" qui dériverait de "galerne" et non le contraire. Le CNTRL donne une origine normande au mot, par défaut et à cause de la conservation du " g" initial. Notez au passage la forme espagnole "el galerno" utilisée en concurrence avec "la galerna". Ce changement de genre est à nouveau la marque typique d'un passage par le gascon noir: gasc. le galerne (s.f.) -> esp. el galerno. Le doublon galerna -galerno en esp. suggère fortement que mot est arrivé par deux routes différentes en espagnol dont au moins une par le gascon noir. Certainement pas par le latin. Ce changement de genre traduit une confusion qui est caractéristique du passage des mots terminant par /ə/ quand ils passent du gascon noir à l'espagnol. Elle est à rapprocher du fait qu'en gascon du Guipuscoa (qui était du gascon noir) , l'article défini "le" a fini par servir d'article au masculin comme au féminin. Ce caractère épicène de l'article gascon "le" est attesté par l'article bien connu de Serapio Múgica sur les Gascons de Saint-Sébastien et confirmé par le texte du chant traditionnel de Noël en gascon (décadent) de Pasaia "Aitona Ixidro Elusu", collecté dans les années 1950.
Bref, il ne faut pas s'étonner de la présence de mots d'origine celtique en gascon. D'abord, ils ne sont pas très nombreux, mais probablement pas moins nombreux qu'en français parce que l'Aquitaine n'est pas un continent isolé et qu'il y avait aussi des nations gauloises au moins à sa périphérie. Certains peuvent venir des parlers des peuples gaulois de la côte aquitaine et des bords de Garonne, d'autres viennent d'ailleurs, pas nécessairement du triangle aquitain. La plupart des mots celtiques que je viens de citer peuvent se regrouper en trois ou quatre thêmes: astronomie sinon astrologie et météo, donc religieuse (taram, lugret, alugret, lugran etc, p.-ê. baran), animaux dont les noms latins étaient inconnus des indigènes (bom, cauerat, marraisha, on peut y ajouter creac, colac, probablement aussi calhòc < *kaliākos ainsi que p.-ê. arriàŋ et sa série étym). et termes de technologie paisane, en particulier liés à l'araire (arreca o arrega, soc, et selon moi: bome/bòme; en limousin: chambija. Enfin, citons le mot gascon "com" et ses dérivés qu'on retrouve dans le languedocien garonnais mais guère au delà. Glas a été conservé par tradition agricole et économique très localisée. A part arrega et ses variantes qui peuvent éventuellement venir du latin rĭca (lui-même un emprunt au celtique rĭka) comme araire qui vient d'aratrum (un autre emprunt du latin au celtique aratro-), ces mots ne sont pas du tout latins et la plupart sont d'ailleurs de diffusion relativement voire très restreinte. Ce sont souvent des mots rares, voire très rares et absents du lexique français, au moins le contemporain. Des mots rares, donc, de mon point de vue d'apprenti celtisant, précieux.
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